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les massifs de sapins qui l’entourent : quoique près d’un demi-siècle se soit écoulé depuis que les moines font abandonné, le lierre n’a pas encore voilé entièrement les baies des cellules désertes. La teinte verdâtre qui règne sur les murs atteste seule le défaut d’entretien et les ravages du temps. Il faut franchir cette première enceinte encore debout et pénétrer dans l’intérieur du couvent, pour avoir le spectacle de la destruction dans toute sa solennelle tristesse. Les coupoles découvertes laissent pénétrer le jour sans obstacle, les pilastres des cloîtres s’écroulent, les degrés de pierre sont descellés, les ruines sont amoncelées dans le chœur et dans la nef de l’église, un manteau de pariétaires recouvre ces débris. Les vapeurs qui s’amassent sur le sommet de la montagne où s’élève le couvent suintent en pluie fine et s’écoulent partout le long des murs. Presque en toute saison, de minces et nombreux filets d’eau se croisent sur les pierres revêtues de mousse avec un léger murmure qui trouble seul le profond silence de cette solitude, ou tombent goutte à goutte du faîte des vieux piliers avec la régularité d’un clepsydre, comme pour marquer la fuite des heures. Tel est le couvent du Desierto vu à la clarté du jour et par un temps serein. Qu’on imagine maintenant l’aspect de cette retraite à l’heure où nous y avions cherché un refuge, lorsque l’orage, qui durait depuis le commencement de la nuit, se calmait à peine. Qu’on fasse pénétrer les pâles clartés de la lune sous ces arceaux déserts, qu’on fasse siffler dans la nef abandonnée, dans la cage vide de l’orgue, dans les cellules dépeuplées, les derniers rugissemens de la tourmente : on aura une idée du gîte qui nous était offert pour achever la nuit.

Nous grelottions tous sous nos habits trempés, et une de nos premières occupations fut de chercher les matériaux nécessaires pour allumer du feu. Nous nous partageâmes l’exploration du couvent. Je m’engageai seul dans une des parties les plus ruinées de l’édifice. Le souvenir du vieux moine de Saint-François m’était revenu à l’esprit, et je me plaisais à évoquer cette bizarre image en parcourant les galeries abandonnées. Autour de moi, les piliers du cloître allongeaient de grandes ombres sur le terrain blanchi par la lune. Tout était silencieux comme dans une nécropole. Les courtines de lierre frémissaient seules sous le vent. Du cloître, j’entrai dans un vaste corridor ; à travers les crevasses de la voûte, quelques rayons de la lune pénétraient furtivement. Dans le lointain, je crus remarquer sur les dalles quelques lueurs plus rougeâtres à côté de ces blanches clartés, j’entendis aussi un hennissement qui ne semblait pas venir de la cour où nous avions attaché nos chevaux. Au même instant, mes compagnons me rappelèrent, et je m’empressai de les rejoindre. Ils avaient réuni quelques fagots de menu bois : ce n’était pas néanmoins le résultat le plus intéressant de leurs recherches.