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un grand fonds de crédulité superstitieuse, crut sans doute que j’adhérais à sa pensée sur le caractère du mystérieux inconnu. Il continua :

— La tentation avait été trop bien conduite pour que fray Epigmenia ne sortît pas vaincu de sa lutte avec le mauvais esprit. Non-seulement le malheureux succomba, mais il fut même si complètement ensorcelé, qu’il trouva moyen de cacher pendant un mois entier, dans le couvent du Desierto, celle qui avait été l’instrument de sa chute. Pendant tout ce mois sa conduite extérieurement n’avait pas changé ; il affectait même plus de sévérité dans son maintien, et les remords qui le tourmentaient secrètement donnaient à ses traits une expression plus sombre. Le ciel et l’enfer se partageaient son ame. Écouta-t-il enfin la voix de l’orgueil plus que celle du repentir ? Le fait est que ses hésitations cessèrent un jour, et ce jour-là il avait pris une résolution inébranlable, terrible. Que voulez-vous ? Fray Epigmenio ne devait rien faire comme les autres. Il avoua publiquement sa faute, et livra au saint-office[1] la femme dont le démon s’était, disait-il, servi contre lui. Il l’accusait de sortilège, de magie : il avait peut-être raison. Dès ce moment, on admira plus que jamais une vertu qui se relevait avec tant d’éclat. L’inquisition instruisit néanmoins le procès du moine comme celui de la séductrice, car le saint tribunal, dans son impartialité, voyait deux coupables où le public n’en voyait qu’un. Le moine attendit le jugement dans son cloître, la femme au fond d’un cachot. Quelques semaines d’une pénible attente se passèrent. Un soir, la cellule de fray Epigmenio fut le théâtre d’une scène où l’intervention du diable ne se révèle pas moins clairement que dans la rencontre de la forêt. Courbé sur son crucifix, le moine redemandait à Dieu le calme que son ame avait perdu. Tout à coup un bruit de pas le fait tressaillir. Un homme était devant lui, le contemplait avec des yeux ardens, et cet homme n’était autre que l’étranger qui s’était montré au reclus une première fois dans la forêt, un mois auparavant. Il était vêtu de même, et plus pâle encore que la nuit où le moine l’avait trouvé baigné dans son sang. Fray Epigmenio fit un pas en arrière, mais l’étranger ne bougea pas. La formule d’exorcisme, péniblement balbutiée, ne le fit pas reculer davantage. Alors le moine appela au secours ; mais il était trop tard. Quand on entra dans la cellule, l’étranger avait disparu ; Epigmenio, frappé d’un coup de poignard, était évanoui au pied de son prie-dieu, et, sur

  1. L’inquisition fondée au Mexique en 1571 eut pour premier inquisiteur don Pedro Moya de Contreras. Elle fut supprimée après la conquête de l’indépendance mexicaine, de 1809 à 1810, et l’ancien édifice, situé dans la rue de Santo-Domingo, sert aujourd’hui de douane. Sur l’un des panneaux de la porte, des hérétiques enveloppés jusqu’à mi-corps dans les flammes sont le seul emblème qui rappelle la destination première du monument.