et d’harmonie, et il fait sa Vénus. Avec le marbre, cette matière froide, noble et neigeuse, il faudra qu’il rende la souplesse et la tiédeur de la vie, il faudra qu’il force la pierre rebelle à céder aux caprices de sa pensée. La femme, la déesse se dégage lentement du bloc. Tout le monde l’admire, bien qu’elle ait des yeux blancs, des cheveux incolores et s’éloigne de la réalité de toute la distance de l’idéal au vrai. Qui trouve invraisemblable sa pâleur étincelante et pure ? Qui pense à lui demander, du moins maintenant, car les anciens teignaient leurs statues, le fard des joues et des lèvres, les prunelles marquées, les cheveux et les sourcils noirs, qui rendent les figures de cire pareilles à des fantômes dérisoires ? L’art n’a donc pas besoin de vérité absolue, mais seulement de vérité relative, puisqu’un morceau de marbre taillé qui ne reproduit pas l’aspect complet du modèle excite, quand l’ame d’un grand artiste l’a réchauffé de sa flamme, l’amour, l’enthousiasme et l’admiration. Cette Vénus, polie par les baisers des siècles, et qui nous paraît d’une beauté si parfaite, sans doute Praxitèle en était mécontent ; plus d’une fois, quand il y travaillait, le ciseau a dû tomber de ses mains découragées. A quel type préconçu comparait-il cette forme exquise et supérieure en perfection aux plus belles femmes, pour ne pas en être entièrement satisfait ? Quels bras, quelle poitrine, quelles épaules avait-il vus dans les réalités de la chair qui pussent lutter contre les sublimes mensonges de son marbre ? Raphaël aussi, peignant la Galatée, se plaignait de ne pas rencontrer de modèles qui le satisfissent ; il se servait d’une certaine idée qu’il avait en lui. « Je manque de belles femmes et de bons juges ! » écrivait-il au comte Castiglioni.
Tout au rebours de ces grands hommes, les artistes médiocres sont toujours heureux de leurs œuvres. Si mince que soit le résultat, il est à la hauteur de la conception. L’habileté de main, les hasards du travail, produisent même quelquefois des effets inattendus dont ils sont joyeux et surpris ; l’exécution dépasse la pensée.
Ainsi donc, il demeure prouvé que la peinture, que l’on considère comme un art d’imitation et qui est plutôt un art de transformation, agit souvent avec d’autant plus de force qu’elle s’éloigne de la nature. Ce que le peintre doit chercher avant tout, c’est l’interprétation et non le calque des objets ; qu’il rende l’apparence et non la réalité.
Un artiste d’un immense talent, de Laberge, mort il y a quelques années, a consumé ses forces dans une lutte folle contre la nature. Il ne voulait rien peindre de convention. S’il faisait un arbre, il le copiait avec une exactitude désespérante ; chaque feuille était un portrait ; les cassures des petites branches, les rugosités, les nœuds et les mousses du tronc, il reproduisait tout plus fidèlement que le daguerréotype, car il y joignait la couleur. Souvent l’automne venait effeuiller le modèle avant que de Laberge eût fini l’étude commencée au printemps. Pour