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réflexion dans l’eau et devenir amoureux de lui-même ? Non, un artiste avant tout est un homme ; il peut refléter dans son œuvre, soit qu’il les partage, soit qu’il les repousse, les amours, les haines, les passions, les croyances et les préjugés de son temps, à la condition que l’art sacré sera toujours pour lui le but et non le moyen. Ce qui a été exécuté dans une autre intention que de satisfaire aux éternelles lois du beau ne saurait avoir de valeur dans l’avenir. La besogne faite, l’on jette l’outil de côté. Piocher n’est pas sculpter, et s’il peut être utile à un certain moment de renverser un mur, de creuser une mine, le mur tombé, la mine ayant fait explosion, l’habileté et le courage de l’ouvrier loués comme il convient, il ne reste rien de tout ce labeur. Que les artistes se gardent donc bien de s’atteler au service d’une école de philosophie ou d’une coterie politique, qu’ils laissent les fourgons chargés de théories embourbés dans leurs profondes ornières, et croient avoir fait autant pour le perfectionnement de l’humanité que tous les utilitaires par une strophe harmonieuse, un noble type de tête, un torse aux lignes pures où se révèlent la recherche et le désir du beau éternel et général. Les vers d’Homère, les statues de Phidias, les peintures de Raphaël, ont plus élevé l’ame que tous les traités des moralistes. Ils ont fait concevoir l’idéal à des gens qui d’eux-mêmes ne l’auraient jamais soupçonné et introduit cet élément divin dans des esprits jusque-là matériels.

L’art pour l’art veut dire non pas la forme pour la forme, mais bien la forme pour le beau, abstraction faite de toute idée étrangère, de tout détournement au profit d’une doctrine quelconque, de toute utilité directe. Aucun maître ou disciple de l’école moderne n’a entendu autrement cette formule devenue célèbre par des polémiques sans intelligence et sans bonne foi. Puisque nous en sommes à chercher chicane à M. Töpffer, reprochons-lui des attaques de mauvais goût contre un des plus grands poètes de notre temps, dont les vers sont dans toutes les mémoires et sur toutes les lèvres. Ces tons de pédagogue vont fort mal à l’esprit fin et délicat capable d’écrire les Nouvelles genevoises ; ces critiques arriérées ont quelque chose de provincial et de suranné qui fait tache dans un livre aussi remarquable.

Revenons maintenant aux définitions du beau. Voici celle que donne M. Töpffer : « Le beau de l’art procède absolument et uniquement de la pensée humaine affranchie de toute autre servitude que celle de se manifester par la représentation des objets naturels. » - Cette proposition est suivie d’une autre ainsi conçue : « Dans l’art en général et dans la peinture en particulier, les signes de représentation qu’on emploie sont conventionnels à un haut degré, puisque, quand ils ne devraient varier qu’avec les objets naturels dont ils sont la représentation, ils varient au contraire perpétuellement avec les époques, avec les nations, avec les écoles, avec les individus. »