et de vrai, ses livres et l’Encyclopédie. Or, si l’Encyclopédie est maintenant un tombeau, c’est du moins un tombeau à la façon des pyramides, qui atteste la puissance de ceux qui sont couchés dessous.
Lorsqu’une littérature est politique et sociale, il est bien difficile que la critique ne soit pas une critique de parti. Tout écrivain est forcé de prendre cocarde, s’il veut être compté pour quelque chose ; et, dès qu’on est enrôlé sous un drapeau, ne faut-il pas faire feu sur tous ceux qui sont dans le camp opposé ? Dès-lors l’impartialité et le goût n’ont plus voix au conseil, et la passion seule dirige les coups. C’est ainsi que Desfontaines et Fréron livrèrent à Voltaire ce combat acharné qui le mettait hors de lui. En cela, Voltaire ne fut pas habile : au lieu de désarmer ses détracteurs par le dédain, il leur fit beau jeu par ses colères, et il fut aussi mal inspiré, convenons-en, en faisant un procès à Desfontaines fontaines qu’en faisant l’Écossaise contre Fréron. Il éveilla la curiosité autour d’eux, et l’auteur de Candide (que cela doit donner à réfléchir aux poètes !) fit plus d’une fois passer les rieurs du côté de ses critiques. Aujourd’hui Desfontaines est oublié, ou à peu près ; Fréron ne l’est pas, et même, en ces derniers temps, on a essayé de le dresser sur un piédestal ; mais le piédestal n’avait pas de fondemens assez solides, et il s’est vite écroulé. Fréron, qu’on a voulu d’autres fois traîner aux gémonies, ne mérite pas plus d’ailleurs les gémonies que le Panthéon : c’était un bon esprit qui s’entêta dans une injustice, et c’est à cette longue perpétration d’une injustice qu’il doit presque toute sa renommée. Je ne conseille pas cependant de suivre cet exemple : se créer une célébrité de critique en niant de parti pris un grand écrivain, et en le visant toujours à la tête et au cœur, me paraît un procédé d’une moralité plus que suspecte. Je ne conseille pas davantage le procédé de l’abbé Prévost, qui écrivit vingt volumes de critique avec l’intention de ne déplaire à personne et de ne blesser aucune vanité. S’il y réussit, ce dont je doute, il put se vanter d’avoir accompli la tâche la plus difficile que puisse entreprendre un écrivain. En tout cas, à ce procédé qui contraignait l’abbé Prévost à de sèches analyses, le lecteur devait perdre beaucoup, et il se serait sans doute fort ennuyé aux vingt volumes du Pour et le Contre, si l’abbé Prévost n’eût imaginé d’entremêler son journal critique de quelques histoires comme il savait en faire. Remarquons en passant que ce sont là les véritables premiers romans-feuilletons. O bon Prévost d’Exiles, vous ne saviez pas très certainement quel fléau vous mettiez au monde ! Mais vous avez créé Manon, et il faut beaucoup vous pardonner.
Il y eut, au XVIIIe siècle, un homme qui eût été un excellent critique s’il l’eût voulu. Ce n’est certes pas le pauvre abbé Trublet, ni l’abbé Le Batteux, ni Marmontel ; c’est Rivarol. Et ce n’est pas que j’aime son Petit Almanach des grands hommes, ce livre dont l’ironie continuelle