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rendu justice au talent, il n’a jamais fait grace à la vanité, et il n’a été le courtisan d’aucune faiblesse. Peut-être le premier, dans son poétique désir de tout comprendre et expliquer, a-t-il eu quelquefois trop d’indulgence et a-t-il introduit dans sa galerie d’élite des visiteurs qui n’auraient pas dû dépasser le vestibule ; peut-être le second a-t-il souvent poussé la sévérité jusqu’à la rudesse ; mais il n’est pas moins vrai que l’un et l’autre ont dignement porté le poids de la critique, et ont puissamment travaillé à contenir et à éclairer cette école moderne à laquelle ils appartiennent tous les deux.

En dehors de cette école, et dans une autre tradition, la critique honnête et élevée n’a pas manqué non plus. Veut-on une intelligence prompte, une plume alerte, un style piquant ? on trouvera tout cela chez ce maître ingénieux qui, du haut de sa chaire et du haut de son livre, a fait à l’art nouveau une si redoutable guerre. Je crois, pour mon compte, qu’il ne donne pas assez de liberté à la poésie et qu’il s’attache trop aux anciennes frontières ; mais que d’agrément et de raison il apporte dans toute cette lutte ! Son profond bon sens a l’allure si vive, qu’il en prend quelquefois des airs de paradoxe. A côté de ce spirituel écrivain, d’autres ont laissé des traces durables de leur passage, et j’en vois un qui, après avoir marqué au front d’un mot qui fit grand bruit la mauvaise littérature, élève patiemment à notre histoire littéraire un édifice dont les avenues ne sont peut-être pas assez larges, mais qui ne manque à coup sûr ni d’élégance, ni de solidité.

Ainsi le véritable esprit critique a eu, de nos jours, des représentans qu’on peut citer avec honneur et qu’il faut respecter même quand ils se trompent, parce qu’ils se trompent toujours consciencieusement. L’histoire, la poésie, le roman et le théâtre, à chacune de leurs tentatives, ont trouvé des juges impartiaux et éclairés ; mais ce ne sont pas ceux-là qui ont été le plus souvent écoutés, au contraire : on les a traités comme des gens inutiles et importuns. C’étaient les auxiliaires naturels de l’imagination, et elle ne voulut voir en eux que des ennemis. En revanche, elle fraternisait avec cette critique sans études, sans inspiration et sans conscience, qui consentait à devenir un instrument entre ses mains, et qui a laissé faire, en l’approuvant même, tout le mal que nous avons sous les yeux.

Certes, personne ne se fait illusion au point de croire que la critique puisse jamais être un champ réservé où l’on n’entre qu’avec de l’honneur, de l’esprit et du goût. Les faux érudits, les pédans, les envieux, les coquins et les sots sont de tous les temps. Il y aura toujours des gens qui aimeront à se prélasser dans leur érudition toute fraîche, et qui, allant faire chaque jour leurs provisions pour le lendemain comme la servante va au marché, voudront faire croire à des trésors amassés dès long-temps par eux et mis en réserve. Il y aura toujours des gens