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ne pouvoir survivre aux circonstances qui ont causé leur triomphe ; leur mérite d’à-propos s’épuise par la satisfaction même qu’ils sont tenus de donner à des sentimens passionnés, mais éphémères. Arrivés au pouvoir pour accomplir une certaine mission, ils restent forts et populaires aussi long-temps qu’ils s’en acquittent ; mais, leur tâche est-elle finie, leur popularité cesse aussitôt ; la critique rentre à leur égard dans son rôle accoutumé, l’esprit de dénigrement reprend contre eux son œuvre de destruction.

Les hommes d’état vraiment dignes de ce nom, les partis qui représentent, non pas les fantaisies passagères du pays, mais ses sentimens généraux et permanens, ses intérêts vivaces, sont les seuls qui, après avoir satisfait au présent, savent encore suffire à l’avenir. A eux appartient le don des ressources inattendues et le secret des habiles transformations ; mais ces transformations, alors même qu’elles sont commandées par l’intérêt public le plus évident, ne sauraient être opérées sans amener quelques tiraillemens et sans faire courir quelques dangers. Une lutte sourde s’engage alors entre les tendances nouvelles qui veulent se faire jour et les vieilles habitudes qui veulent résister. La discorde n’est plus seulement entre les partis et d’homme à homme, elle est au fond même de la conscience de chacun. Sollicitées à la fois vers des buts opposés, les convictions obéissent tour à tour à des impulsions différentes et vacillent entre elles sans en suivre aucune. Que cet ébranlement se prolonge un peu, et le trait le plus saillant d’une pareille époque sera bientôt la confusion générale.

Ou nous nous trompons fort, ou le ministère et la majorité sont, depuis le commencement de la session, en proie à un travail de cette nature. Les difficultés inséparables de tout changement dans la direction d’une politique depuis long-temps suivie ont amené, selon nous, la dernière crise ministérielle, et lui ont peut-être survécu. En recherchant soigneusement quels ont été les motifs de cette crise, comment elle aurait pu être évitée, comment le retour peut en être empêché, nous sommes loin de vouloir faire le procès à qui que ce soit et de prétendre en remontrer à personne. Nous n’ignorons pas qu’une situation n’est pas améliorée parce qu’elle est un peu plus éclaircie, et que les écueils ne sont pas évités parce qu’ils ont été signalés ; cependant n’est-il pas plus certain encore qu’à marcher au hasard et les yeux fermés, qu’à naviguer à la dérive sans souci des étoiles et de la boussole, il y a moins de chances de salut et plus de risques de perte ?

Suivant quelques personnes, il faudrait uniquement attribuer les récens embarras à la formation d’un parti nouveau dans le sein du parti conservateur, au changement soudain opéré dans la rédaction politique de quelques feuilles publiques. A les entendre, si le hasard avait retenu chez eux, en province, quelques députés, malencontreux fauteurs