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— François a pris la bride de son cheval aux dents, répliqua Suson ; il a tiré son sabre et il s’est jeté au milieu des bleus.

N’est-il pas temps de l’oublier,
Le beau galant du temps passé ?


Ah ! comme j’ai eu de la peine à le retrouver parmi les bleus !… Mais j’ai détourné sa monture et je l’ai ramené jusqu’ici en chantant l’air qu’il aimait le mieux :

Toujours, toujours, dedans mes chants,
J’irai pleurant et regrettant.

Jean ne put obtenir aucune autre explication. Son frère, que Miélette et Va-de-bon-Coeur avaient descendu de cheval, ne savait rien, n’entendait rien. Au nom de sa mère seulement, on voyait passer sur ses traits un frémissement convulsif ; une lueur traversait ses yeux, puis il retombait dans sa stupeur égarée.


IV.

La douleur, au lieu d’abattre Jean Chouan, le retrempa. Après avoir pleuré la morte, il songea à la venger.

Son premier soin fut de préparer aux siens une retraite plus assurée que leur cabane, qui pouvait être à chaque instant découverte. Il fit creuser autour du carrefour de la grand’ville des souterrains en forme d’entonnoir dont l’étroite ouverture fut fermée par une claie d’osier recouverte de mousse. Cachés là, ils pouvaient braver toutes les recherches des républicains, qui marchèrent cent fois sur ces trappes verdoyantes sans se douter que l’ennemi était sous leurs pieds. Restait à se procurer des munitions. Celles que l’on attendait de Laval n’arrivaient pas ; aucun messager n’avait voulu s’en charger. Jean Chouan part un soir en compagnie du seul Goupil ; toutes les entrées de la ville étaient closes par des barricades et gardées. Jean franchit avec Goupil plusieurs murs de jardin, arriva jusqu’à l’église du faubourg Saint-Martin, qui servait de caserne aux bleus, et reconnut la maison où les munitions se trouvaient en réserve ; mais tout y était fermé, et, en frappant, on eût attiré l’attention des sentinelles républicaines qui se promenaient à quelques pas. Heureusement que le toit était peu élevé ; l’ancien couvreur réussit à l’atteindre, pénétra dans l’intérieur par une lucarne et vint ouvrir à son compagnon. Le lendemain avant le jour, tous deux étaient de retour avec de la poudre et des balles pour toute la bande. Celle-ci allait en avoir besoin, car un nouveau malheur venait de frapper la cause royaliste. Le jour même de son retour de Laval, Jean Chouan, qui était occupé à faire des cartouches dans une espèce de