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légère, mobile, élégante, cette barbarie slave ne pouvait être plus rudement froissée qu’en se heurtant aux lourds Teutons. Ce qui donne à la France la puissance d’attraction qu’elle exercera toujours sur son voisinage, c’est qu’à toutes ses extrémités elle touche à ses voisins par des similitudes qui effacent ses frontières. Du Béarn et du Roussillon à l’Espagne, de la Provence à l’Italie, du Dauphiné à la Savoie, de la Franche-Comté à la Suisse, de la Lorraine à l’Alsace et à l’Allemagne, de la Champagne au pays wallon, de l’Artois aux Flandres, la transition se fait toute seule et sans, pour ainsi dire, qu’on y pense. Il est un abîme entre la Prusse et Posen, comme entre l’Autriche et la Gallicie. C’est cet abîme que la Prusse cherche à combler depuis cinquante ans bien passés ; elle n’y a pas réussi, elle n’y réussira pas. Le temps a cessé où les royaumes se formaient en absorbant sans résistance les élémens les plus hétérogènes, et, par une remarquable rencontre, le sentiment de la nationalité est devenu partout plus opiniâtre et plus vif en devenant moins brutal. Ce sentiment indomptable, le cabinet de Berlin voudrait l’étouffer dans sa province polonaise ; il gouverne en bon père de famille tous les intérêts matériels, et il y aurait injustice à ne pas lui reconnaître cette sagesse ; mais il guerroie avec une sourde violence contre le légitime attachement que le peuple vaincu de Posen professe de plein droit pour sa nationalité. Cette guerre continuelle a son nom dans le vocabulaire de la bureaucratie allemande ; elle s’appelle la germanisation.

Le grand argument des Prussiens au service de cette entreprise tantôt secrète et tantôt avouée, l’argument sincère des administrateurs de l’école libérale comme l’était M. de Flotwell, c’est la nécessité de relever les classes inférieures que la gentilhommerie polonaise avait à peu près retranchées de la société active, le désir de protéger les paysans contre les maux qu’ils avaient subis depuis des siècles. On leur a donc donné la propriété par une investiture en masse, mais du même coup on les a, tant qu’on a pu, mêlés aux Allemands. Les Allemands se sont multipliés dans les villes où ils avaient toujours fait le commerce ; ils ont petit à petit envahi la campagne où les colonies des gens du Rhin percent maintenant çà et là au milieu des villages slaves ; les domaines de la couronne, partagés et morcelés afin d’appeler plus de fermiers, leur ont été livrés exclusivement. Trop long-temps aussi des habitudes de dissipation presque invétérées chez les seigneurs ont jeté les biens nobles aux mains des spéculateurs allemands ; trop long-temps les seigneurs n’ont pas su racheter à propos le champ que l’incurie du paysan polonais laissait vendre par le fisc au profit d’un enchérisseur allemand plus laborieux et plus économe. Ainsi entouré, circonvenu, travaillé par les influences germaniques, le jeune soldat de Posen est déjà plus d’une fois revenu, du régiment bégayant la langue de l’étranger et disant avec quelque