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l’espérais ; j’appris que l’un des individus en question était le seigneur don Tomas Verdugo, arrivé environ une heure avant moi, mais, que, pressé de se remettre en route, il n’avait pris que le temps de relayer et était reparti immédiatement, laissant à l’hacienda deux chevaux qu’il comptait reprendre à un prochain voyage.

— Quoiqu’il me semble singulier que vous ayez affaire à lui, ajouta l’hôtesse, je sais qu’il doit s’arrêter deux jours à Celaya, et vous le trouverez au meson de Guadalupe, dans lequel il a coutume de descendre.

J’eus beau la questionner de nouveau : l’hôtesse se tint opiniâtrement dans la réserve la plus stricte, et je quittai la cuisine fort désappointé d’avoir encore quarante lieues à faire avant de pouvoir rejoindre le mystérieux voyageur, mais enchanté de savoir son nom et de pouvoir me diriger vers un but certain. Après avoir donné contre-ordre à Cecilio, comme il était encore de borne heure et que le sommeil est un hôte qui ne visite sur une couche de pierre que l’homme harassé de fatigue, j’allai m’asseoir, en l’attendant, à la porte extérieure de l’hacienda, à quelques pas de la grande route.

La lune éclairait la campagne, déjà triste et silencieuse comme à minuit. A l’horizon, les collines commençaient à revêtir leur manteau de brume nocturne. Sur la plaine blanchie, les émanations de la terre, condensées par la fraîcheur de la nuit, formaient au loin l’aspect d’un lac tranquille ; du sein de ces vapeurs sortaient, comme des plantes aquatiques, les alors qui croissaient sur le sol pierreux. Au milieu de cette solitude morne et désolée, sur cette terre inhospitalière où mille dangers entourent le voyageur, le voyageur étranger surtout, mon entreprise m’apparut, pour la première fois, ce qu’elle était en réalité une périlleuse folie. Pour la première fois aussi depuis mon départ de Mexico, le cœur me manqua, et, dans un moment de découragement, je formai la résolution de revenir sur mes pas, résolution qui ne devait point s’accomplir. Au moment où je jetais, avant de rentrer, un dernier regard sur le triste paysage qui m’entourait, il me sembla entendre vibrer, au milieu du silence, les sons éloignés d’une guitare. C’était sans doute une halte de muletiers que le bâtiment dérobait à ma vue, ou quelque palefrenier qui charmait ses loisirs au fond d’une écurie. Immobile à ma place, j’écoutais avec recueillement ces sons indécis et brisés par la distance, quand une voix assez sonore vint graduellement s’y marier. Grace au silence de plus en plus profond, je pus reconnaître bientôt que les paroles chantées étaient un fragment du Romancero espagnol ; mais une fantaisie bizarre avait donné pour estritillo ou refrain à ces vers héroïques un dicton populaire jadis en vogue au Mexique. Cette singularité me fit désirer de voir le musicien, et je gagnai dans cette intention l’angle le plus éloigné de l’hacienda. Au pied d’une des collines boisées qui dominent l’hôtellerie, je pus alors