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je ne me consolerais jamais… jamais, s’il arrivait malheur au pauvre don Tomas… un si digne homme !

Après cet élan d’une sensibilité qui n’avait que le tort de se tromper singulièrement d’objet, Florencio se précipita dans le couloir, et je restai seul, car il m’avait prévenu que je ne pouvais monter avec lui. Je me promenai dans la rue, en proie à une anxiété facile à comprendre, comptant les minutes, qui me paraissaient des siècles, et m’attendant à chaque instant à voir descendre cet homme, ce don Tomas, qui, toujours invisible, ne cessait, depuis tant de jours, d’être présent à ma pensée ; mais le temps s’écoulait, et personne ne se montrait sur la porte. J’attendis ainsi près d’une heure, enfin je me décidai à entrer moi-même. Je traversai l’allée sombre, je pénétrai dans le jardin, et le premier objet qui frappa mes yeux fut un homme étendu à terre. C’était le malheureux Florencio, qui ronflait à tout rompre, oubliant l’univers entier dans la torpeur de l’ivresse. Je revins sur mes pas, bien décidé à ne plus compter que sur moi-même ; mais un long espace de temps s’écoula avant que je pusse m’orienter dans les rues de la ville. Je regagnai péniblement l’hôtellerie, Cecilio m’attendait sur la porte.

— Ah ! s’écria-t-il aussitôt qu’il m’aperçut, il est arrivé un malheur. Le jeune cavalier que vous avez trouvé ce matin ici s’est pris de querelle dans la rue avec un passant, et on vient de le transporter dans sa chambre. Il est mort, sans nul doute.

Telle est au Mexique la fréquence d’un pareil spectacle, que nulle agitation dans l’hôtellerie ne trahissait un si triste drame. Je me précipitai dans la chambre de don Jaime. Le pauvre jeune homme, seul, sans soins, sans consolation, paraissait dormir d’un tranquille sommeil sur sa couche de pierre et sous le manteau sanglant qu’on avait jeté sur sa tête. L’air frais qui frappa son visage quand je le soulevai lui fit ouvrir des yeux que la mort obscurcissait déjà.

— Je vous reconnais, me dit-il ; c’est vous qui êtes venu à moi quand j’avais faim ; vous venez encore à moi quand je meurs. Merci.

Le Biscayen me tendit une main glacée.

— Ma main est brûlante, n’est-ce pas ? reprit-il ; il y a si peu de temps qu’elle la pressait dans les siennes ! Mon Dieu ! que va-t-elle dire quand elle ne me verra plus ?

— Rien n’est désespéré, lui dis-je. Apprenez-moi où je puis faire prévenir doña Luz.

Le Biscayen murmura à mon oreille une adresse que je gravai dans ma mémoire. — Maintenant, reprit-il, c’est inutile ; mes momens sont comptés, elle arriverait trop tard ! Quand je serai mort, ne lui dites pas que je suis mort pour elle. Dites-lui seulement qu’elle a eu ma dernière pensée !