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la signora Maria Malloni enlever tous les suffrages dans le rôle de l’Aminta du Tasse ? Le principal titre poétique d’Isabella Andreini n’est-il pas sa pastorale de Mirtilla[1] ? On peut affirmer qu’il n’y eut pas alors un seul comédien de quelque talent poétique qui n’ait fait représenter par ses camarades des pièces écrites plus ou moins régulières, mais au moins très soigneusement travaillées. J.-B. Andreini a composé, lui seul, un nombre si considérable de pièces destinées à la fois à la scène et à la lecture, qu’aucun biographe italien n’en a jusqu’à présent réuni la liste complète. Pour ne parler que de celles qu’il a publiées à Paris, j’en compte cinq, toutes imprimées par de La Vigne, en la seule année 1622. Ce sont la Sultana, l’Amor nello specchio, la Ferinda, Li duo Leli simili, la Centaura. Ces pièces, il faut le dire, donnent une fort triste idée du goût littéraire de l’auteur et de son époque. Ce sont des œuvres d’une imagination malade et déréglée. L’Amer nello specchio (l’Amour au miroir) est une extravagante féerie dédiée à Bassompierre, dans laquelle apparaissent la Mort et des Esprits follets ; la Ferinda vaut un peu mieux ; c’est une comédie chantée, une sorte d’opéra-comique, dans lequel sept ou huit dialectes se livrent bataille, le mauvais allemand, le français corrompu, le patois vénitien, napolitain, génois, ferrarais, le langage pédantesque, sans compter un bègue qui ne peut, lui, parler aucune langue. Mais le comble de la bizarrerie et de l’extravagance est la Centaura, véritable monstre dramatique, dédié cependant à Marie de Médicis. Cette pièce est divisée en trois actes : le premier est une comédie, le second une pastorale, et le troisième une tragédie ; le tout est écrit en prose mêlée de quelques stances disposées pour le chant. Les personnages de la pastorale, le croirait-on ? sont toute une famille de Centaures, père, mère, fils et fille. La mise en scène, comme on voit, devait offrir de grandes difficultés ; elle exigeait des masques bien étranges, même à côté des masques fantastiques de la comédie italienne. Après une suite d’aventures compliquées et romanesques, les deux Centaures, père et mère, qui combattaient pour recouvrer la couronne de l’île de Chypre, se tuent de désespoir, et la petite Centauresse, leur fille, monte sur le trône, ce qui devait lui être (qu’on nous permette de le dire) plus aisé que de s’y asseoir. L’extravagance de la dédicace surpasse encore, s’il est possible, celle de la pièce même. L’auteur expose le plus gravement du monde l’analogie qu’il aperçoit, d’abord entre la partie supérieure et noble de ses personnages

  1. Il existe deux traductions françaises de cette pastorale d’Isabella Andreini. Le traducteur de 1609 a dédié son travail à l’auteur, qu’il appelle la belle des belles. La seconde version est beaucoup plus récente ; elle se trouve à la tête du Parnasse des Dames. Paris, 1773 ; elle est due à Mlle Fatné de Morville.