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n’est pas toujours assurée de se rencontrer avec leurs inclinations. Ils ont dû fonctionner pour combattre, pour dominer toutes les résistances ; mais le mécanisme avec lequel ils fonctionnent est devenu, par sa propre énergie, une résistance constituée. Merveilleusement formés à l’obéissance régulière au moyen d’une discipline sans égale, ils ont trouvé dans la sévérité de cette discipline, dans la consistance qu’elle leur a donnée, le sentiment d’une autorité qu’ils ne tiennent plus maintenant que d’eux-mêmes. Serviteurs d’un pouvoir qui n’admettait pas de contrôle, ils ont fini pourtant par lui sembler un contrôle et un contre-poids.

La vraie église prussienne, l’église évangélique, tenue si fort à l’étroit par les consistoires, n’est pas du moins une hiérarchie épiscopale qui doive nécessairement conserver une tradition remise à sa garde par un roi pontife. L’armée, dévouée de cœur à des princes militaires, ne saurait jamais l’être à des princes oppresseurs, parce qu’elle est, avant tout, l’armée de la nation, une armée toujours jeune et vivante, tirée dans un ordre admirable des entrailles mêmes du pays, où elle vient toujours se retremper. La bureaucratie administrative et judiciaire peut compter pour un véritable mandarinat ; si ses membres n’ont pas, comme individus, toute la stoïque indépendance dont on leur fait honneur dans le lointain, ils ont réellement ce bel avantage d’une corporation bien ordonnée : c’est qu’ils ne dépendent que de leurs supérieurs. Enfin le haut enseignement des universités, par son mode de recrutement et de composition, par l’objet même de ses travaux, par les garanties écrites de ses privilèges, se trouve en possession d’une souveraineté morale que des complaisances isolées, qu’un engourdissement temporaire n’atténueront jamais au point de la neutraliser.

Matière curieuse à réflexions ! voici de grands corps dont l’attitude est généralement virile, des masses de fonctionnaires qui ont tous une charte à laquelle en appeler, qui ont quelque chose de plus, la conscience très nette de leur droit, la volonté froide et ferme d’en jouir, et à la tête de ces ordres si respectables, de cette légion vigoureuse des officiers et des agens de l’état, les premiers chefs du service public ne tiennent vis-à-vis de la royauté qu’une place des plus médiocres. Les ministres prussiens sont les commis ou les aides-de-camp du roi de Prusse, et leur emploi ne leur donne point de caractère politique assez marqué pour les faire responsables. Ils disparaissent à tout moment, ils se rejettent dévotieusement derrière la majesté du prince ; ils érigent en théorie ce devoir par trop commode, qui consiste à le découvrir, comme nous disons dans notre langage constitutionnel. Le prince entre ainsi lui-même en rapport immédiat, non-seulement avec le commun des citoyens et le gros du pays, mais avec les fonctionnaires subordonnés à.ses ministres, et il n’en est point de si humble dont il ne soit en personne