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quelle somme exorbitante ne devaient pas s’élever les transactions quotidiennes de tout le royaume ! Faut-il s’étonner si on a dû acquitter plus tard les frais de pareilles folies ? Ce n’est pas, toutefois, en affectant directement les opérations de la banque d’Angleterre, que ces enfantemens gigantesques de la spéculation ont empiré la détresse, puisqu’ils n’avaient aucune influence sur les changes étrangers. On aurait plutôt appelé l’argent du dehors par l’appât d’une grosse prime ; mais les chemins de fer, accaparant toutes les épargnes individuelles, tous les capitaux disponibles, les détournaient de l’industrie et paralysaient le commerce ordinaire. La concurrence des chemins de fer à l’industrie dure encore. Au plus fort de la tourmente, bien que les actions aient considérablement baissé depuis le commencement de cette année, les capitaux ne se sont guère éloignés des rail-ways. Comme l’intérêt que les compagnies sont obligées de payer pour de nouveaux emprunts augmente sensiblement, comme les dividendes s’affaiblissent, le public se découragera peut-être, et les capitaux reflueront vers le commerce en souffrance. On aura éprouvé une fois de plus que les engouemens irréfléchis de la spéculation aboutissent à des déceptions certaines et se résolvent en des pertes irréparables pour la masse des petits capitalistes. Les compagnies elles-mêmes semblent en ce moment ressentir le besoin de s’imposer un frein volontaire et de restreindre leurs appels de fonds.

On se tromperait beaucoup si on pensait que les vastes réformes accomplies récemment dans le régime économique du royaume-uni soient restées complètement étrangères à la détresse de 1847. Nous n’admettons pas sans doute les prétentions extravagantes des ultra-protectionnistes ; nous ne voyons pas avec eux dans ces mesures la source unique du mal. La révolution douanière, dans la situation industrielle où sont les Anglais, nous paraît au contraire un acte de prévoyance ; il n’en faut pas moins un certain temps avant que les intérêts se plient à l’ordre nouveau. Un changement si grave a déterminé une sorte de commotion dans l’édifice même qu’il est destiné à raffermir.

Des causes si nombreuses et si variées, réunies à la fin de l’année dernière, constituaient bien les élémens d’une crise et devaient engendrer une gêne inévitable. La banque d’Angleterre étant venue, comme on l’a dit, pour surcroît de malheur, à resserrer ses escomptes, l’état des choses fut considérablement empiré. En suivant le cours des faits accomplis, on touche du doigt l’effet des mesures prises par ce grand établissement. Si, au lieu d’agir dans un sens qui favorisait le développement d’influences malheureuses et fortuites, la banque avait pu diriger son action en un sens opposé, procurer au commerce des facilités agrandies et non lui ravir celles dont il jouissait ; si elle n’avait pas été condamnée par sa constitution à un isolement absolu, la gêne commerciale aurait été beaucoup plus courte et beaucoup moins sensible. Peut-être même le tiraillement n’aurait-il pas reçu ce nom de crise qui suppose des embarras graves, complexes et prolongés.

En rappelant les diverses causes du dernier ébranlement, nous sommes donc arrivé à la cause essentielle. De toutes les questions soulevées par la famine monétaire de 1847, celle de la constitution de la banque est, sans contredit, la plus importante. Déjà ce grave sujet a été touché devant le dernier parlement ; déjà le bill de 1844 a été le but d’attaques plus ou moins vives de la part de lord G. Bentinck, de MM. Disraeli, Mastermann, Newdegate. Bien que ces accusations aient