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cielle entre les deux cabinets, cette nomination n’en est pas moins une réponse, non peut-être à telle ou telle dépêche du ministre britannique, mais à l’ensemble de sa conduite à notre égard depuis qu’il a pris les affaires. Avec lord Aberdeen, le gouvernement français aurait hésité, il n’aurait probablement pas voulu se montrer aussi net dans une question délicate pour tout ministre anglais en présence d’un homme qui n’avait pour nous que des égards ; mais, avec lord Palmerston, il n’a pas voulu faire tant de façons, et il a eu raison. Voici jusqu’à présent ce que l’Angleterre a gagné à l’hostilité déclarée de lord Palmerston contre nous : le mariage de M. le duc de Montpensier avec l’héritière du trône d’Espagne et l’identification éclatante de l’Afrique à la France par l’avènement d’un fils du roi au gouvernement de cette colonie.

En France, le principal organe de l’opinion radicale a vivement attaqué ce choix ; cela devait être ainsi. Le National est très peu monarchique, tout le monde le sait, et tout ce qui peut profiter à la dynastie de juillet lui déplaît nécessairement. D’après la thèse de ce journal, les rois s’en vont partout, les princes ne sont bons à rien, les familles régnantes arrivent peu à peu au dernier degré de la décadence. Dès qu’un prince montre de l’énergie, du courage, de la capacité, il ne fait pas le compte du parti radical. Ce qu’il lui faut, c’est l’oisiveté des fils du roi, c’est leur amollissement dans les plaisirs, afin qu’on puisse crier à l’aise contre l’ignorance et la pusillanimité de ceux qui naissent sur les marches des trônes. Que des princes sollicitent l’honneur de servir leur pays et de faire leurs preuves comme d’autres hommes, que M. le duc de Nemours prenne part à la prise de Constantine, que M. le prince de Joinville bombarde Tanger et prenne Mogador, que M. le duc d’Aumale enlève la smala ou accepte le lourd fardeau du gouvernement de l’Algérie, voilà ce qui est particulièrement insupportable aux radicaux. Encore un coup, nous le concevons sans peine, et nous reconnaissons volontiers qu’il n’en peut pas être autrement.

Mais ce qui aurait lieu d’étonner, si l’on ne connaissait pas les mobiles qui font mouvoir les partis, c’est que des journaux qui se disent nationaux se fassent les échos de la presse anglaise dans cette question, et que des journaux qui se disent monarchiques se constituent les satellites du radicalisme. On veut de la puissance nationale, de l’indépendance nationale, et on attaque ce qui est un acte de puissance et d’indépendance, si jamais il en fut ; on veut de la monarchie, une grande et sérieuse monarchie, et on se plaint de ce qui peut ajouter à l’éclat et à la solidité du principe monarchique. Il est vrai que, pour déguiser cette inconséquence, quelques-uns, plus habiles que les autres, essaient de dire que leur opposition est dans l’intérêt même de la monarchie, de la dynastie de juillet ; malheureusement on appuie cette prétention de tels argumens, que la vérité ne tarde pas à percer. Un journal essentiellement dynastique ne disait-il pas dernièrement que le père serait responsable de la gestion du fils, et que, si M. le duc d’Aumale commettait des fautes ou éprouvait des malheurs, la solidarité de ces malheurs et de ces fautes remonterait jusqu’au roi ? Étrange manière, on en conviendra, de se montrer dévoué à la monarchie constitutionnelle !

La grande objection à la nomination de M. le duc d’Aumale, c’est qu’elle blesse l’égalité. Il y a du vrai dans cette objection, car il est bien évident que, si M. le duc d’Aumale n’était pas né prince, il ne serait pas arrivé à vingt-cinq ans à l’une des premières places de l’état ; mais, d’un autre côté, cette nomination est