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presque toujours inaperçues. Les poètes secondaires sont en si grand nombre, à vrai dire, qu’on ne les compte plus, mais ce n’est pas une raison pour oublier quelle prodigieuse quantité d’esprit et de talent il se dépense souvent aujourd’hui faute de génie ; ce n’est pas une raison surtout pour refuser un regard sympathique et bienveillant à quelques-unes de ces jeunes muses modestes du moins et souriantes dans leur obscurité.


LES SOIRÉES DE CARTHAGE, par l’abbé Bourgade, curé de Saint-Louis à Carthage[1]. — L’église n’a pas été jusqu’à présent fort heureuse dans ses essais d’apostolat en Afrique, et la philosophie de son côté s’est fort peu occupée des obstacles moraux que notre civilisation devait partout y rencontrer. Ces obstacles, un prêtre catholique et de tout point orthodoxe vient aujourd’hui de la meilleure foi du monde nous annoncer qu’il croit pouvoir les vaincre ; il regarde comme possible la conversion des musulmans au christianisme, et nous indique en outre la méthode qu’il a suivie lui-même avec succès dans ses rapports avec des mahométans de Tunis. En quoi M. Bourgade se distingue-t-il des missionnaires qui ont si tristement échoué dans l’Algérie ? Par une qualité précieuse et décisive : il connaît les Orientaux et l’islam ; il a fait une étude approfondie du Koran parmi les populations arabes. Certes il combat l’œuvre de Mahomet sur beaucoup de points du dogme et de la morale ; mais il ne dit pas qu’il méprise l’islamisme, il n’en fait pas un objet de risées ni d’injures, et son effort est principalement de rechercher les côtés par lesquels le livre des croyans se rapproche de l’Évangile, afin de trouver mieux le lien des deux cultes et la transition possible de l’un à l’autre. Ce langage modéré, cette réserve prudente, cette justice rendue à l’islamisme par un prêtre très catholique, sont autant d’indications instructives pour l’état comme pour l’église, car, on le comprend, c’est à la condition d’une connaissance étendue de la législation musulmane et de ménagemens habilement calculés pour l’esprit du Koran, c’est à cette condition seule que nous pouvons gouverner et civiliser les indigènes de l’Algérie.

Dans un accès de bon sens, Voltaire écrivait déjà qu’il fallait jeter au feu tout ce que l’on avait dit jusqu’alors sur les musulmans. L’on s’est bien gardé d’en rien faire, et l’opinion en est encore à cet égard dans l’ignorance où Voltaire l’a laissée. Cependant une réaction a commencé hors de France en faveur des peuples de l’Orient. Quelques voyageurs anglais qui ont vécu parmi les Turcs, en Espagne la jeune école historique, très riche en documens sur l’ancienne civilisation arabe, les chrétiens slaves, hellènes ou valaques de la Turquie, se rencontrent aujourd’hui dans le même sentiment : l’islam n’est point cette aveugle superstition, ce n’est pas ce fatalisme grossier, ce n’est pas ce zèle toujours prêt à frapper et à conquérir, que des annalistes superficiels et des érudits à la suite nous ont représentés sous des couleurs si sombres. La vérité est, comme on l’a dit sans insister assez fort, que le Koran est une édition manquée de l’Évangile. Le livre des musulmans est écrit dans une pensée hostile aux idolâtres, oui sans doute ; mais Mahomet, si ferme qu’il fût dans sa croyance au Dieu unique, a toujours témoigné du respect pour les dogmes chrétiens, pour la révélation chrétienne et pour les personnes mêmes de la Vierge et du Christ.

Quant à l’attitude militante des deux cultes sur tous les points du monde où ils se trouvent en contact, voici ce qui l’explique. C’est que les musulmans, fort

  1. Un vol. in-80, chez Firmin Didot, rue Jacob.