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plongés les pays musulmans ; mais là aussi est le secret des procédés à l’aide desquels nous pouvons les arracher à ces souffrances physiques et morales et leur faire accepter le bienfait de nos usages et de nos croyances. Laissons de côté cette rudesse des mœurs militaires, source naturelle des crimes que l’on explique à tort par le fanatisme ou le despotisme, et voyons comment cette nature primitive des Arabes veut être traitée, le langage qu’elle nous commande et les hommes qui sont capables de le tenir avec le plus d’autorité. Assurément nos systèmes, nos abstractions, nos formules métaphysiques, le langage de la science moderne, tout cela est lettre close pour les musulmans de l’Algérie. Les plus simples idées morales, les plus simples faits sociaux exposés dans l’idiome du pur bon sens, voilà les seuls objets intelligibles pour leur dialectique inexpérimentée. Il est une considération non moins grave et peut-être décisive. Par suite de la simplicité des sentimens auxquels ils obéissent, et par une façon de voir commune à tous les peuples primitifs, ces grands enfans ont pour la valeur individuelle un respect profond ; mais le trait le plus frappant de leurs idées sur l’homme, c’est qu’ils le conçoivent en quelque sorte tout d’une pièce nous voulons dire qu’ils n’analysent pas l’individu, qu’ils n’attribuent pas sa supériorité à telle ou telle vertu, à telle ou telle qualité, et qu’ils les veulent toutes réunies en une seule et même personne. Dans l’état actuel de l’opinion en Europe, l’homme religieux, l’homme politique, l’homme moral, sont trois hommes très distincts, quelquefois même très opposés. En pays musulman, il n’en est point ainsi ; ce qui n’est ni moral ni religieux ne saurait être politique. Il n’y a pas pour la volonté trois principes d’action, il y en a un seulement : la justice, dont la religion, la morale et la politique ne sont que les trois branches. Où trouver des hommes qui répondent à cet idéal ? C’est le dernier terme du problème posé dans les Soirées de Carthage. L’abbé Bourgade, étant lui-même un homme simple, biblique, presque oriental, et ayant obtenu quelques conversions remarquables dans la régence de Tunis, ne doute pas que des prêtres catholiques, préparés par une instruction spéciale, ne puissent remplir à souhait ces fonctions apostoliques. Il est évident que l’état peut aussi se servir, pour soumettre à son influence l’esprit oriental, des moyens et des hommes dont il dispose. Il peut du moins, de son point de vue purement temporel, diriger lui-même la machine administrative dans cet esprit de transaction. Il peut, lui aussi, former ou trouver des hommes qui sachent ce que les civilisations primitives ont de vrai et de faux, et par quels procédés de législation et de gouvernement nous pouvons les régénérer en les transformant. Les idées nouvelles que l’église et l’état puiseront dans l’étude consciencieuse de l’islamisme et des législations musulmanes seront pour l’un comme pour l’auge un appui précieux dans l’accomplissement de leur mission distincte. Cette étude, l’auteur des Soirées de Carthage l’a commencée du point de vue de l’église. Il faut espérer que l’état ne restera point en arrière et que notre gouvernement se convaincra qu’une connaissance approfondie des institutions orientales doit régler à l’avenir sa politique en Algérie.



V. de Mars.