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nom, ma vocation, mes principes… Mais mon ame, mais le petit jardin de mon cœur que j’ai planté entre les grands murs sombres de notre existence officielle, mais la seule chose que je possède encore pour me rappeler que je suis homme, ah ! je ne l’abandonnerai pas… Je veux garder les passions que Dieu m’a données en me créant, dussé-je blesser toutes les lois dont le hasard de l’histoire a fait pour nous une obligation sociale. »

Disons-le franchement, tout cela est aussi mauvais que possible. M. Gutzkow ne profitera de ses rares facultés que lorsqu’il sera débarrassé de ce triste bagage, emprunté si mal à propos à nos grandes théories socialistes. Qu’y a-t-il donc, en résumé, dans Werner ? Le sujet d’une nouvelle où s’annonce une piquante étude psychologique, beaucoup d’éclat et de finesse dans l’exécution de la première partie, une véritable habileté à manier le langage de la scène, et puis une action impossible, un drame languissant, une conclusion ridicule.

Il est bien temps que M. Gutzkow se surveille avec sévérité et réfléchisse aux conditions de son art. Ses deux premiers drames révèlent des qualités précieuses, mais on voit trop que le poète est dupe de son talent. Comme il possède déjà, et à un degré remarquable, la science difficile du dialogue, comme sa plume incisive, sa verve brillante, donnent aisément à tout ce qu’il exprime une physionomie dramatique, il ne s’inquiète pas de la pensée et croit remplacer l’action par le mouvement du style. A chaque pas qu’il fera cependant, il sentira le vide des creuses théories qui l’inspirent. Prenons garde de faire parler à la Muse le triste langage de nos systèmes d’un jour ; son idiome n’admet que les sentimens éternels. Si elle aime à marquer d’une empreinte particulière, selon le temps et le lieu, les immortelles pensées qui appartiennent à tous les temps et à tous les pays, gardons-nous de croire qu’elle consente facilement à n’être que l’écho d’un système isolé. J’aime à me figurer que M. Gutzkow, éclairé par l’expérience de son travail, aura compris tout ce qui manquait à son Werner. Tandis que les spectateurs l’applaudissaient, l’artiste, plus exigeant, se sera demandé s’il avait mérité son triomphe. Quels nobles sentimens en effet, quelles passions fécondes avait-il remués dans leurs ames ? Il avait peint les luttes de la famille et en avait fait le texte d’une prédication prétentieuse. Était-ce bien là tout ce que pouvait accomplir la poésie dramatique ? N’y a-t-il pas dans la situation présente de l’Allemagne des inspirations plus pressantes, plus impérieuses ? M. Gutzkow sans doute a fait ces réflexions, et, condamnant lui-même ces premiers essais, il a écrit son drame de Patkoul.

Le poète a renoncé cette fois aux déclamations du socialisme ; il a renoncé aussi à ces sujets domestiques, à ces drames de famille, que l’on ne peut guère conseiller aux écrivains de son pays : cette vie intime, en Allemagne, est trop en dehors des intérêts généraux, pour que le