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l’occasion. La Suède, épuisée par la guerre, jetait des regards de convoitise sur ses provinces allemandes. Les impôts, les exactions, les violences, commencèrent bientôt dans le malheureux pays de Patkoul. La Livonie était au pillage. C’est Patkoul qui fut choisi pour aller des mander justice au roi de Suède, Charles XI. Il arrive, ardent, impétueux, et, parlant au prince comme le Germain du Danube avait parlé au sénat de Rome, il fait un tableau terrible des dévastations commises par les Suédois. Sa hardiesse lui réussit moins bien qu’au paysan ; il est condamné à mort, et le voilà de nouveau dans cette prison où sa mère l’a mis au monde. Il s’échappe à grand’peine, se réfugie en Suisse, où il se cache sous le nom de Fischering, et gagne sa vie avec sa plume. Après la mort de Charles XI, quand l’altier Charles XII fut monté sur le trône, et que Patkoul, désigné à la vengeance impatiente du nouveau roi, eut perdu tout espoir de rentrer libre dans son pays, il trouve un asile auprès de Frédéric-Auguste, électeur de Saxe et roi de Pologne, qui se disposait en secret à attaquer la Suède. Nommé conseiller intime et général, il emploie toute son activité aux préparatifs de la guerre, en même temps qu’il fait connaître les injustices du roi de Suède dans un mémoire célèbre, approuvé et signé par les jurisconsultes de deux universités allemandes. Il est donc en guerre ouverte avec Charles XII, mais bientôt il doute de l’énergie de son protecteur et va offrir sa haine et son génie à Pierre-le-Grand. Il est nommé lieutenant-général, puis ambassadeur à la cour de Saxe, auprès de ce Frédéric-Auguste, toujours aussi séduit par l’ardeur généreuse de l’exilé qu’épouvanté de ses audacieux projets. L’ambassadeur de Pierre-le-Grand était aimé de Frédéric-Auguste, mais la faiblesse et l’irrésolution du prince étaient incurables. Poursuivi par les ministres de l’électeur de Saxe, dont il avait dévoilé les trahisons, il va achever une vie de luttes et de dangers héroïques dans les misérables intrigues d’une petite cour. Le faible roi de Pologne, menacé par les Suédois, se soumet lâchement aux conditions impies qu’on lui dicte et livre Patkoul à la haine implacable de Charles XII. L’intrépide Livonien est enfermé et assassiné à Cazimirzc, le 11 octobre 1707.

Il y a là certainement la matière d’un beau drame. Cette lutte infatigable d’un grand cœur qui veut arracher sa patrie au joug étranger, tant de péripéties éclatantes, un courage si obstiné, une fin si tragique, tout cela, entre les mains d’un maître, pouvait former une œuvre pleine de vie et d’intérêt ; mais il fallait de l’audace, il fallait donner au sujet un développement hardi, et embrasser, comme Shakespeare dans ses admirables Chroniques, toute l’existence du héros. L’unité de cette tragédie était dans la passion invincible, exclusive, unique, qui remplissait l’ame du gentilhomme livonien. Dans le cachot de Stockholm, au fond de sa retraite en Suisse, à la cour de Frédéric-Auguste,