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XVIe siècle, ils matérialisent le culte et le réduisent à des pratiques extérieures, comme on peut le voir dans le Manuel du Rosaire vivant, le Manuel de la confrérie du Scapulaire, l’adoration du Sacré-Cœur, du précieux Sang, de la vraie Croix, etc.

Les miracles ainsi que les confréries ont repris faveur. La robe sans couture de Trèves, la sainte robe d’Argenteuil, la statue merveilleuse de Notre-Dame de Paris, et surtout les médailles de l’immaculée conception que la Vierge en personne distribue dans les campagnes, font le sujet, chaque année, d’une dizaine d’ouvrages. Nous remarquerons à ce propos que les choses se passent exactement comme au XIIe siècle. C’est presque toujours la Vierge qu’on met en scène, surtout quand il s’agit de convertir des pécheurs ou de guérir des malades. Quant aux saints, qui jouent un si grand rôle dans les anciens miracles, ils ont à peu près disparu des légendes, et le diable en est tout-à-fait banni.

Comparés aux apologistes et surtout aux mystiques, les prédicateurs, qui tenaient une si grande place dans l’ancienne bibliographie théologique, ne donnent dans la bibliographie contemporaine qu’un chiffre fort restreint. On va entendre M. Lacordaire et M. de Ravignan ; on achète Massillon, Bossuet, Bourdaloue. Ainsi, depuis quinze ans, Massillon a eu trente éditions. Bourdaloue en a eu quinze. Combien pourrait-on citer de prédicateurs contemporains qui en aient compté deux ? Les sermons, recueillis, comme les plaidoyers, par des sténographes, sont allés mourir la plupart dans les colonnes de quelques recueils périodiques complètement inconnus du public. Cette décadence de l’éloquence religieuse tient, nous le pensons, à deux causes : la première, c’est qu’au lieu de rester simplement chrétienne, elle s’est faite tour à tour ultramontaine, absolutiste, démocrate, légitimiste, nationale, humanitaire et romantique ; la seconde, c’est qu’elle s’est faite marchande : on a pu lire, en effet, au bas des sermons et des conférences publiés en manière de feuilleton ou de premier-Paris dans les journaux dits religieux, une note qui en interdisait la reproduction, sous peine de procès, comme cela se pratique pour les romans ou les œuvres littéraires. En voyant ainsi la parole évangélique soumise à la législation sur les droits d’auteurs, les sceptiques et même les croyans sincères n’ont-ils pas le droit de se demander ce que devient le précepte du maître : Ite et docete[1] ?

Vous avez parlé de la liturgie, des apologistes, des mystiques, des prédicateurs, nous dira-t-on peut-être ; pourquoi donc n’avez-vous point parlé de la morale, qui forme avec le dogme l’inaliénable domaine de la littérature religieuse ? — C’est, hélas ! que les moralistes chrétiens sont remplacés dans cette littérature par les catholiques humanitaires, descendans romantiques des millénaires. Les catholiques humanitaires, qui donnent la main aux socialistes, font descendre

  1. Nous avons déjà plusieurs fois rencontré les marchands dans le temple. Il serait facile de multiplier les exemples. Nous nous bornerons au fait suivant : les prospectus et le titre de l’ouvrage intitulé Encyclopédie catholique disent que ce livre est placé sous la surveillance d’un comité d’orthodoxie. Or, un récent procès vient de nous apprendre que ce comité, cette Sorbonne, c’était une seule et même personne, engagée vis-à-vis de l’éditeur, moyennant 400 francs par an, dont 100 francs en livres, à relire les épreuves pour en extirper les hérésies, et obligée de plus, pour cette somme modeste, à faire passer tous les mois une note en faveur de l’Encyclopédie catholique dans quatre des journaux dits religieux.