Il se formera quelque secte intermédiaire, une sorte de christianisme oriental…
— Ou d’islamisme anglican, lui dis-je. Mais pourquoi le catholicisme n’opérerait-il pas cette fusion ?
— C’est qu’aux yeux des Orientaux les catholiques sont idolâtres. Vous avez beau leur expliquer que vous ne rendez pas un culte à la figure peinte ou sculptée, mais à la personne divine qu’elle représente ; que vous honorez, mais que vous n’adorez pas les anges et les saints ils ne comprennent pas cette distinction. Et d’ailleurs, quel peuple idolâtre a jamais adoré le bois ou le métal lui-même ? Vous êtes donc pour eux à la fois des idolâtres et des polythéistes, tandis que les diverses communions protestantes…
Notre discussion, que je résume ici, continuait encore après le déjeuner, et ces dernières paroles avaient frappé l’oreille d’un petit homme à l’œil vif, à la barbe noire, vêtu d’un caban grec dont le capuchon, relevé sur sa tête, dissimulait la coiffure, seul indice en Orient des conditions et des nationalités.
Nous ne restâmes pas long-temps dans l’indécision.
— Eh ! sainte Vierge ! s’écria-t-il, les protestans n’y feront pas plus que les autres. Les Turcs seront toujours les Turcs ! (Il prononçait Tures.)
L’interruption, indiscrète et l’accent provençal de ce personnage ne me rendirent pas insensible au plaisir de rencontrer un compatriote. Je me tournai donc de son côté, et je lui répondis quelques paroles auxquelles il répliqua avec volubilité.
— Non, monsieur, il n’y a rien à faire avec le Ture (Turc) ; heureusement, c’est un peuple qui s’en va !… Monsieur, je fus ces derniers temps à Constantinople ; je me disais : Où sont les Tures ?… Il n’y en a plus !
Le paradoxe se réunissait à la prononciation pour signaler de plus en plus un enfant de la Canebière. Seulement ce mot Turc, qui revenait à tout moment, m’agaçait un peu.
— Vous allez loin, répliquai-je ; j’ai moi-même vu déjà un assez bon nombre de Turcs…
J’affectais de dire ce mot en appuyant sur la désinence ; le Provençal n’acceptait pas cette leçon.
— Vous croyez que ce sont des Tures que vous avez vus ? disait-il en prononçant la syllabe d’une voix encore plus flûtée ; ce ne sont pas de vrais Tures ; j’entends le Ture Osmanli ; tous les musulmans ne sont pas des Tures !
Après tout, un méridional trouve sa prononciation excellente et celle d’un Parisien fort ridicule ; je m’habituais à celle de mon voisin mieux qu’à son paradoxe. — Êtes-vous bien sûr, lui dis-je, que cela soit ainsi ?
— Eh ! monsieur, j’arrive de Constantinople ; ce sont tous là des