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ou trois mots français. L’œil se repose avec plaisir sur des bateaux chargés d’oranges, de figues et d’énormes raisins de la terre promise ; plus loin une odeur pénétrante d’épiceries, de salaisons et de fritures signale le voisinage des boutiques. En effet, on passe entre les bâtimens de la marine et ceux de la douane, et l’on se trouve dans une rue bordée d’étalages qui aboutit à la porte du khan français. Nous voilà sur nos terres. Le drapeau tricolore flotte sur l’édifice, qui est le plus considérable de Seyda. La vaste cour carrée, ombragée d’acacias avec un grand bassin au centre, est entourée de deux rangées de galeries qui correspondent en bas à des magasins, en haut à des chambres occupées par des négocians. On m’indique le logement consulaire situé dans l’angle gauche, et, pendant que j’y monte, le Marseillais se rend avec le pope au couvent des franciscains, qui occupe le bâtiment du fond. C’est une ville que ce khan français ; nous n’en avons pas de plus important dans toute la Syrie. Malheureusement notre commerce n’est plus en rapport avec les proportions de son comptoir.

Je causais tranquillement avec M. Conti, notre vice-consul, lorsque le Marseillais nous arriva tout animé, se plaignant des franciscains et les accablant d’épithètes voltairiennes. Ils avaient refusé de recevoir le pope et sa femme. — C’est, dit M. Conti, qu’ils ne logent personne qui ne leur ait été adressé avec une lettre de recommandation.

— Eh bien ! c’est fort commode, dit le Marseillais, mais je les connais tous les moines, ce sont là leurs manières ; quand ils voient venir de pauvres diables, ils ont toujours la même chose à dire. Les gens à leur aise donnent huit piastres (2 fr.) par jour dans chaque couvent ; on ne les taxe pas, mais c’est le prix, et avec cela ils sont sûrs d’être bien accueillis partout.

— Mais on recommande aussi de pauvres pèlerins, dit M. Conti, et les pères les accueillent gratuitement.

— Sans doute, et puis, au bout de trois jours, on les met à la porte, dit le Marseillais. Et combien en reçoivent-ils de ces pauvres-là par année ? Vous savez bien qu’en France on n’accorde de passeport pour l’Orient qu’aux gens qui prouvent qu’ils ont de quoi faire le voyage.

— Ceci est très exact, dis-je à M. Conti, et rentre dans les maximes d’égalité applicables à tous les Français… quand ils ont de l’argent dans leur poche.

— Vous savez sans doute, répondit-il, que, d’après les capitulations avec la Porte, les consuls sont forcés de rapatrier ceux de leurs nationaux qui manqueraient de ressources pour retourner en Europe. C’est une grosse dépense pour l’état.

— Ainsi, dis-je, plus de croisades volontaires, plus de pèlerinages possibles, et nous avons une religion d’état !