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on se tromperait si l’on espérait les détourner de leur but politique en les conviant à une vie plus facile, plus abondante, plus dégagée aussi de tout lien moral et plus molle. Tout au plus cela réussirait-il parmi les populations assoupies de l’archiduché ; mais en Styrie, en Illyrie, en Bohème, en Moravie, la nationalité s’est éveillée, et les esprits ont donné des gages certains de leur énergie politique. La noblesse bohème ou illyrienne a elle-même à poursuivre le progrès social un intérêt assez grand, et cela est une garantie de succès pour le gouvernement, s’il veut mener jusqu’au bout son œuvre ; ce serait une difficulté et un danger de plus, s’il s’arrêtait en chemin. Un grand nombre de paysans, surtout dans l’archiduché, ont déjà profité de la nouvelle loi, et sont passés aujourd’hui dans la classe des propriétaires ; leur ambition grandira avec leur condition.

Lorsque de là les regards se portent sur les pays constitutionnels de l’empire, la Transylvanie, la Hongrie, la Croatie, on retrouve de nouvelles souffrances. Sous une législation plus libérale que celle de l’archiduché et de la Bohème, la principauté de Transylvanie est dans un état voisin peut-être de celui de la Gallicie, et, bien que les deux royaumes annexés de Hongrie et de Croatie jouissent en cela d’un sort un peu moins fâcheux, ils sont fort éloignés de l’aisance. La faute n’en est point à l’Autriche toute seule ; elle en partage la responsabilité avec les diètes et les pouvoirs locaux de ces pays, dont les attributions ne laissent pas d’être étendues.

En Transylvanie, depuis l’octroi du règlement provisoire en 1769 jusqu’à la diète actuellement assemblée à Clausenbourg, la noblesse, sauf quelques essais de réforme timidement tentés en 1790 et en 1811, est demeurée stationnaire. D’ailleurs la différence des races entre les paysans et les seigneurs a créé là des difficultés d’un genre spécial, parce qu’au mépris du maître pour le sujet se joint encore le mépris très violent du vainqueur pour le vaincu. La Transylvanie est pleine des souvenirs de cette lutte inique des races magyare et saxonne contre la race infortunée des Roumains ou Valaques, et les tribus encore plus infortunées des Zingares ou Bohémiens. Les Roumains, qui sont à eux seuls plus nombreux que toutes les autres populations de la principauté réunies, composent, avec plusieurs milliers de Zingares sédentaires, la classe des cultivateurs[1]. Les uns et les autres sont considérés comme des sortes de parias, et mènent la vie la plus pénible au sein d’une affreuse indigence. Sous leur humble toit, les paysans roumains, drapés dans leurs pittoresques haillons, vivent, comme ceux de la Gallicie, pêle-mêle avec les bestiaux. Leur mobilier se borne à quelques vaisseaux en bois ou en terre qui servent à pétrir ou à cuire le pain de maïs (mammaliga), nourriture quotidienne du paysan transylvain[2]. Dans les jours de

  1. On compte aussi, parmi les paysans de la Transylvanie, quelques milliers d’Arméniens qui sont venus s’y établir au XVIIe siècle ; mais les descendans de ces familles émigrées sont aujourd’hui peu nombreux, et dès maintenant leur caractère national est fort affaibli par le contact des autres races.
  2. Le vase dans lequel les femmes préparent d’ordinaire la farine, avant de la mettre sur le feu, a encore une autre destination, que l’on ne devinerait certes pas. Comme il est d’une longueur raisonnable et taillé en forme de carène, c’est le berceau où l’on couche les enfans, à moins pourtant que la mère ne les tienne enveloppés dans sa chemise en lambeaux et pressés contre son sein.