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qui était, dit-il, savante en amour et sur beaucoup d’autres choses. « Ce fut elle qui prescrivit aux Athéniens les sacrifices qui suspendirent dix ans une peste dont ils étaient menacés. » Diotime est une sibylle et une prophétesse ; mais elle n’a rien de Laure ou de Béatrice, car elle n’est pas aimée. Laure et Béatrice n’inspirent que ceux qui les aiment. Diotime n’est donc pas de la famille de ces gracieuses inspiratrices des poètes. Je trouve, dans un ouvrage singulier du premier siècle de l’ère chrétienne, le Pasteur d’Hermas, un personnage qui me paraît ressembler de plus près que la Diotime de Platon à Béatrice et à Laure.

Le Pasteur d’Hermas est un recueil de visions, d’allégories et de préceptes de morale. Hermas ne parcourt pas, comme Dante, l’enfer, le purgatoire et le paradis ; mais il a des apparitions merveilleuses. Entre toutes ses visions, celle que je veux remarquer est celle d’une femme qu’il avait aimée autrefois quand il était jeune, et qu’il avait aimée comme une soeur. Il raconte que, quelques jours avant sa première vision, il avait retrouvé à Rome cette bien-aimée de son adolescence, et que, la voyant si belle encore et d’aussi bonnes mœurs, il avait pensé qu’il aurait été heureux de l’avoir épousée ; pensée répréhensible, car Hermas est marié, mais qui est naturelle au cœur de l’homme, tant est grand le charme de ces premières et naïves affections de la jeunesse que rien n’a désenchantées parce que rien non plus ne les a éprouvées. Ne nous étonnons donc pas de ce regret involontaire d’Hermas. D’ailleurs, il nous dit, dans une de ses visions suivantes, que sa femme était médisante et acariâtre. Aussi pensait-il, se promenant dans la campagne, à celle qu’il avait aimée et qui n’était pas sa femme, quand il se sentit tout à coup pris de sommeil, et, pendant son sommeil, l’esprit de Dieu l’emporta dans un désert affreux, plein de rochers et de torrens. Mais sans doute l’idée de celle qu’il avait aimée et qu’il avait retrouvée ne l’abandonnait pas, car, le ciel s’étant entr’ouvert, il la vit qui le saluait du haut du ciel. « Je la regardai, et je lui dis : Que faites-vous là ? Elle me répondit : — Je suis venue ici pour accuser tes péchés devant le Seigneur. Le Seigneur s’est irrité, parce que tu as péché contre moi. — Et quand, lui dis-je, et en quel lieu ai-je péché contre vous, dans mes paroles ou dans mes actions ? Ne vous ai-je pas toujours respectée comme ma sœur ? Elle me dit en souriant : — Un mauvais désir est entré dans ton cœur. Ne crois-tu pas que ce soit un péché pour un homme juste ?… Prie donc le Seigneur -pour qu’il te pardonne ! Et, après qu’elle eut ainsi parlé, le ciel se ferma. »

C’est après cette apparition de sa bien-aimée de jeunesse qu’Hermas a ses autres visions plus graves et plus mystiques ; mais qui ne sent que c’est l’émotion de l’amour, si je puis parler ainsi dans un pareil sujet,