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reine d’Espagne ; ils célébraient à l’envi sa décision, et ce qu’ils appelaient sa maturité. Les moderados et les afrancesados avaient une leçon pour long-temps. La jeune reine commençait enfin à régner. Les belles choses que M. Salamanca allait faire ! Il allait restaurer les finances, rétablir l’âge d’or, arrêter la contrebande française et ouvrir tous les ports de l’Espagne aux cotons anglais ! Les dépêches de M. Bulwer devaient être fort curieuses à lire.

On paraissait, à Londres, si sûr du succès, qu’on affectait une certaine modestie dans le triomphe. Ainsi, nous avons vu le principal organe du gouvernement anglais déclarer dernièrement que personne ne songeait à contester les droits de Mme la duchesse de Montpensier, que c’était une idée qui n’était jamais venue à aucun esprit sérieux. Tout ce qu’on voulait, c’était d’assurer la descendance directe de la reine ; en d’autres termes, on se bornait au divorce. Mais, même pour ce simple objet, M. Salamanca ne suffisait pas ; il n’était pas de force. Aussi pressait-on le général Espartero de profiter de l’amnistie, qui n’avait été faite que pour lui, et d’aller reprendre le pouvoir qui lui était offert à Madrid par le parti progressiste. Si nous sommes bien informés, le général Espartero aurait fait demander, il y a quelque temps, au gouvernement français, si, dans le cas où il voudrait retourner à Madrid, le libre passage par la France lui serait accordé. Le gouvernement français n’avait aucune objection à faire à une pareille demande ; mais il paraîtrait que lord Palmerston aurait préféré que l’ancien régent s’en allât directement d’Angleterre en Espagne, craignant sans doute qu’il ne prît en passant par Paris la peste du modérantisme.

Du reste, le général Espartero n’avait lui-même, à ce qu’on assure, aucune envie de se risquer si tôt dans sa patrie. C’est une justice à lui rendre, lui seul paraît avoir jugé sainement la situation. Il connaissait l’Espagne mieux que ses patrons de Londres ; il savait qu’il ne trouverait aucun appui dans l’armée actuelle, qu’en arrivant en Espagne il se verrait complètement isolé, et que pour lui c’était, selon le proverbe, aller se jeter dans la gueule du loup. Aussi a-t-il répondu aux reproches mal déguisés de pusillanimité qui lui étaient adressés en allant tout simplement se promener à Birmingham, comme autrefois il faisait ses campagnes en se mettant bien tranquillement au lit.

Nous le répétons, c’est lui qui a le mieux jugé la situation. Il a compris que ses amis se faisaient des illusions, qu’ils se perdraient par l’abus même qu’ils faisaient de leur triomphe momentané, et c’est en effet ce qui est arrivé. Il n’est pas besoin d’aller bien loin pour chercher la véritable cause de la révolution ministérielle qui a eu lieu à Madrid. La jeune reine a eu peur des progressistes ; elle a eu peur de ces figures sinistres associées aux plus tristes souvenirs de son enfance. Comme ces élémens impurs qui, dans les jours d’orage, remontent des bas fonds à la surface, elle a vu reparaître ces hommes de désordre et de révolution qui avaient naguère battu son trône naissant avec les flots de la guerre civile et des discordes sanglantes, et, arrivée presque au bord de l’abîme, elle a ouvert les yeux.

Le plan des progressistes et du ministère de MM. Bulwer et Salamanca n’était plus un secret. Il était tout simplement de dissoudre les cortès actuelles, de faire voter par de nouvelles cortès le divorce de la reine, de faire déclarer la déchéance éventuelle de Mme la duchesse de Montpensier, et de remarier la reine avec le fils de don Carlos. Nous ne savons pas si M. Bulwer allait plus loin que