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science du calcul aurait-elle donc perdu l’antique propriété de donner de la justesse à l’esprit, ou les épidémies morales qui flottent dans l’air que nous respirons seraient-elles assez délétères pour neutraliser son influence ?

L’astronomie, la marine, l’art militaire, qui relèvent directement des mathématiques, ont suivi dans la publication des livres la même progression. Ainsi, pour l’astronomie et la marine, la production, comparée à diverses années de distance, se répartit comme il suit :


1833 16 ouvrages 1840 28
1838 24 1845 46

Il en est de même pour l’art, l’administration et l’histoire militaires, qui forment, dans les bibliographies, l’appendice de la section mathématique. Sous l’empire, quand le canon grondait depuis Cadix jusqu’à Moscou, on n’avait, en fait de littérature militaire, que des bulletins de victoires. Aujourd’hui que tous les peuples, allanguis dans les douceurs ou plutôt, comme eût dit l’antiquité, dans les dangers de la paix, semblent donner raison à l’abbé de Saint-Pierre, l’armée, n’ayant plus de poudre à brûler, s’est mise à verser de l’encre. Les développemens qu’a reçus l’instruction théorique, les concours ouverts au ministère de la guerre, les loisirs des garnisons, ont contribué à répandre dans tous les rangs de la hiérarchie militaire le goût des études sérieuses, et, avec les règlemens sur le service des diverses armes, on trouve un nombre assez considérable de livres sur ce qu’on pourrait appeler la philosophie de la guerre. Ici encore c’est un progrès que nous avons à signaler.

Ainsi, pour résumer en quelques lignes ce qui vient d’être dit, sur quelque terrain qu’on suive les sciences naturelles et les sciences mathématiques, on les voit grandir sans cesse, exercer sur la société une influence de plus en plus directe et se populariser chaque jour davantage. En ce qui touche cette influence, il suffit de voir la position que l’Académie des sciences a conquise dans l’état, où elle siège en quelque sorte comme un quatrième pouvoir, comme un tribunal souverain que les individus, ainsi que le gouvernement, s’empressent de consulter au sujet de toutes les innovations positives, de toutes les conquêtes industrielles, de toutes les réformes, de tous les perfectionnemens qui intéressent la guerre, la marine, l’agriculture. En ce qui touche la popularité des sciences et leur force d’expansion dans la foule, il suffit de se rappeler que, jusqu’en 1820, l’Institut était resté fermé au public comme un sanctuaire impénétrable, et que, jusque-là, les sciences elles-mêmes s’étaient tenues en dehors de la publicité de la presse, tandis qu’aujourd’hui elles ont, comme le théâtre, leur feuilleton hebdomadaire dans les journaux quotidiens. C’est là chez un peuple comme le nôtre un fait tout aussi significatif que la popularité qui entoure aujourd’hui les noms de nos savans et les statues qu’on leur élève. Il est cependant quelques reproches que nous ne pouvons passer sous silence. Les hommes voués aux études scientifiques sont en général très peu bienveillans les uns pour les autres, et l’Institut, l’Académie de médecine, ont été plusieurs fois transformés en véritable champ clos. De plus, ils se montrent souvent trop disposés à se laisser entraîner sur ce que l’on pourrait appeler le terrain de la science facile. Comme les gens de lettres, bon nombre d’entre eux produisent vite et beaucoup, et s’éparpillent dans une foule de recueils où leurs noms sont enterrés comme leurs œuvres. Certains improvisateurs de feuilletons arrivent, en quelques années,