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discussions approfondies d’où il est né, que M. de Rémusat a passé définitivement lui-même à l’état de maître et d’homme du métier, au lieu d’amateur très distingué qu’il était auparavant. Est-ce donc qu’en philosophie, comme en bien des choses, il n’y aurait pas moyen, avec quelque avantage, de rester amateur toujours,

Ami de la vertu, plutôt que vertueux ?

Il est temps d’arriver au succès public le plus brillant, au jour de triomphe et de soleil de M. de Rémusat ; je veux parler de son discours de réception à l’Académie française. Dès que M. Royer-Collard eut disparu, une sorte de suffrage rapide et de murmure universel désigna à l’instant M. de Rémusat pour lui succéder et pour le célébrer. Dans un temps où chacun se croit des titres à toute espèce d’héritage, il ne s’éleva pas un seul concurrent. N’est-ce pas là un unique hommage rendu à la mémoire du mort et aussi au talent approprié du vivant ? M. de Rémusat répondit hautement à cette attente. La séance du 7 janvier 1847 restera mémorable entre celles du même genre. Le successeur de Royer-Collard fut éloquent, égal à son sujet, le dominant presque, et s’y mouvant avec aisance et grandeur. Il eut, tant qu’il le fallut, de l’élévation, il eut de la grace. On a remarqué que tout est bien touché dans ce discours, hormis peut-être l’éloquence parlementaire de M. Royer-Collard, qui aurait pu être caractérisée plus sensiblement. A côté de l’orateur grave et presque auguste[1], pourquoi n’aurait-on pas dessiné, par exemple, M. de Serre, son grand ami, l’orateur passionné, qui faisait naturellement pendant ? Dans une circonstance autre qu’une solennité académique, il y aurait eu sans doute manière de prendre autrement le sujet, une manière plus expressive et plus réelle ; c’eût été de ne pas donner tant de place et de saillie aux considérations historiques, aux diverses époques de la Révolution, et de s’attacher plus uniquement d’abord à la figure de M. Royer-Collard, à ce personnage original, mordant, élevé, mais abrupt, en un mot d’éteindre les fonds historiques et d’accuser à tout moment davantage le profil singulier. Ce que M. de Rémusat, a si bien fait vers la fin, on aurait pu le faire durant tout le morceau, et c’eût été, biographiquement, plus vivant. Mais l’éloge oratoire a sa loi, sa convenance, son choix à faire entre les divers traits, et M. de Rémusat a su, en les indiquant, les adoucir, les idéaliser avec finesse, les subordonner à la majesté. Et puis l’orateur matait dans son élément et dans son droit en ne négligeant pas une occasion

  1. « Respondit Cornelius Tacitus eloquentissime et, quod eximium orationi ejus inest, οεμνώς. » Ce que Pline dit là de Tacite, avocat et orateur, on le pourrait appliquer à M. Royer-Collard, excepté le respondit. M. Royer-Collard à la tribune ne parlait qu’en premier et ne répondait pas.