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au front. Cette politique hébraïque et impériale, dans laquelle se confondaient les sacrés souvenirs de Sion et les glorieux souvenirs de Rome, cette politique, qui avait trouvé dans le grand Charles sa personnification la plus auguste, était devenue plus nécessaire encore à la race capétienne, contrainte de résister à l’ascendant de l’empire germanique en même temps qu’aux formidables vassaux de la couronne, et qui, pour accomplir cette double entreprise, n’avait qu’une seule force, l’autorité morale, qu’un seul auxiliaire, la papauté.

Ainsi fut fondée, par la nature même des choses, la doctrine permanente qui unit les destinées de la royauté française à celles du seul pouvoir par qui fût représentée dans le monde, à cette époque, l’idée de la liberté et de la résistance à l’oppression. Cette association intime de la couronne capétienne et du saint-siège imprima à la noble nation des Francs sa physionomie propre ; elle fit de ce peuple le redresseur des torts, le bouclier vivant de la justice et du droit. Il porta ce caractère dans ses luttes européennes comme dans ses expéditions d’outre-mer, et ses mœurs s’en imprégnèrent aussi profondément que ses lois. Les violences de Philippe-le-Bel contre la papauté, les entreprises des légistes qui tentèrent, sous les Valois, de rompre, au profit du despotisme royal, le bon accord des deux puissances, ne parvinrent point à altérer d’une manière sensible l’esprit de cette société assise sur l’église comme sur le roc. Aussi, après avoir assuré l’indépendance politique des papes contre les empereurs, dompté dans son sein l’hérésie albigeoise, rempli l’Asie musulmane de terreur et d’admiration, et pris, pendant trois siècles, la cour de Rome pour conseil et pour auxiliaire dans ses entreprises comme dans ses négociations, la France se retrouva-t-elle forte et compacte devant Luther, comme elle l’avait été, dix siècles auparavant, devant Arius.

L’oeuvre entreprise par Suger, sous Louis-le-Gros et sous Louis-le-Jeune, se développa sous Philippe-Auguste dans de plus vastes proportions et avec un éclat inconnu jusqu’alors. Profitant avec une habileté peu scrupuleuse des divisions qui troublaient la maison royale d’Angleterre, ce prince étendit les limites du royaume et trouva dans cette extension territoriale un moyen de faire revivre, au milieu de l’anarchie féodale, quelques souvenirs de Charlemagne. Il réunit à la monarchie, par voie de succession ou de conquête, le Vermandois, la Normandie, la Touraine, le Maine, l’Anjou et le Poitou, ne laissant guère en dehors de ses frontières que les riches provinces méridionales, séparées du royaume franc par le divorce d’Éléonore d’Aquitaine et l’imprévoyance de Louis VII. Malheureusement Philippe-Auguste, homme d’expédiens plutôt que d’organisation, contraint d’ailleurs de lutter contre l’Angleterre et contre l’Allemagne, étendit trop la sphère de son action pour qu’il pût la rendre partout efficace ; il ne sut pas préparer