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nouveau, La Comédie-Française, on ne saurait trop le redire, ne ressemble pas à certains théâtres, qui, ne s’adressant qu’à une curiosité toujours mobile, n’ont rien de mieux à faire que de laisser dans l’oubli la pièce d’hier pour convier la foule à la pièce de demain. S’il veut maintenir bien distincts son rang et sa place, s’il veut garder son caractère d’institution nationale, de conservatoire littéraire, le Théâtre-Français doit toujours, non-seulement savoir où il va, mais encore se souvenir d’où il vient. À chacune de ses nouvelles campagnes, il doit prendre pour point de départ ces chefs-d’œuvre qui sont sa richesse, et qui le lient si étroitement aux destinées de notre littérature. Il est bon d’ailleurs que les contemporains, qui, depuis vingt ans, ont vu tant d’espérances déçues et de tentatives avortées, voient aussi que, lorsque l’observation, la vérité, l’étude du cœur humain, arrivent à ce degré de perfection, de profondeur et de beauté, deux siècles peuvent y passer sans leur ôter leur jeunesse, et que l’à-propos du génie est impérissable comme sa gloire. De toutes les leçons données par Molière, celle-là n’est peut-être ni la moins instructive ni la moins piquante.

Nous croyons la Comédie-Française résolue à faire un pas de plus dans cette voie si féconde, à fouiller dans son vieux répertoire et à remettre en lumière plusieurs ouvrages qui peuvent passer pour inconnus à force d’être oubliés. On retrouvera sans peine, dans les œuvres de nos auteurs dramatiques des deux derniers siècles, des pièces qui, montées avec soin et jouées avec ensemble, offriront à la fois au public tout l’attrait d’un souvenir et tout le piquant d’une nouveauté. Molière lui-même a quelques comédies qui n’ont pas été jouées depuis long-temps, les Fâcheux, par exemple, dont la reprise offrirait un intérêt très réel. Ce serait aussi une curieuse tentative que de remettre au théâtre les ballets, les divertissemens intercalés par notre immortel comique dans la plupart de ses pièces, et qui étincellent de verve et de fantaisie. Exécutés dans le goût de l’époque et avec toute la pompe convenable, ces intermèdes rendraient aux ouvrages de Molière une sorte d’actualité nouvelle, en ramenant la pensée vers l’époque même où ils furent composés, où le grand roi ne dédaignait ni d’y sourire ni même d’y figurer, et où la musique et la danse se cotisaient pour faire fête à la poésie. Il faudrait même, et ce serait là un autre avantage, renouer, à cette occasion, une tradition regrettable, l’alliance de l’Opéra et de la Comédie-Française : celle-ci, plus riche en idées qu’en spectacle, aurait besoin que l’Opéra vînt à son aide pour l’exécution de ces intermèdes, des chœurs de Racine et de certaines pièces qui ne peuvent se passer d’un peu de prestige, telles que le Mariage de Figaro. Rendu avec une spirituelle munificence, ce service serait de ceux dont profite aussi bien celui qui donne que celui qui reçoit. N’y a-t-il pas profit à agrandir, à généraliser son influence, en faisant connaître ses ressources et ses merveilles à un nouveau public ? N’est-ce pas un honneur de contribuer à rendre plus complète, plus éclatante, la mise en scène des œuvres de Molière, de Racine et de Beaumarchais ? D’ailleurs, la Comédie-Française ne négligerait pas les occasions de payer sa dette ; quand on possède un répertoire et un personnel comme le sien, il y a toujours moyen de s’acquitter.

Enfin, pour achever de parcourir le cercle des richesses acquises, nous savons que la Comédie-Française aurait l’intention fort louable de faire quelques excursions parmi les chefs-d’œuvre des théâtres étrangers. Entrepris avec discernement et mesure, confiés à des écrivains consciencieux, ces essais n’offriraient plus le même péril qu’il y a vingt ans. Ils ressemblaient trop alors à une sorte