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un autre Hood, — Robin le proscrit, — à la cour du roi d’Angleterre, poussent à tout moment le cri du vagabond captif : Sherwood and liberty ! les forêts et la liberté !

Voyez plutôt : lorsque Lamb s’en allait, en 1834, Thomas Hood, encore mal connu, mais dont la popularité commençait pourtant à s’étendre, Thomas Hood prenait en main le sceptre de l’humour, — moitié plume, moitié marotte, — que la main défaillante d’Elia venait de laisser tomber. Ils s’étaient connus, ils s’étaient goûtés, j’en suis certain. Mes yeux viennent de tomber sur un des premiers encouragemens qu’ait reçus d’un écrivain sérieux le poète bouffon de Miss Kilmansegg et du Maître d’École irlandais, l’éditeur du Comic Annual. C’est une dédicace de Barry Cornwall (pseudonyme de Proctor), qui met sous l’invocation de Hood son fragment de poème chinois, les Généalogistes. « Je désire, lui dit-il, que cet hommage public à vos hautes facultés poétiques vous excite à les mettre en oeuvre… Héraut de vos succès à venir, je ne me crois pas téméraire en les plaçant d’avance parmi les plus assurés et les plus dignes d’envie. » Or, Barry Cornwall était l’ami intime, le correspondant assidu de Lamb, et ce n’est rien hasarder que de leur supposer une commune sympathie pour ce talent ignoré qu’ils avaient peut-être découvert ensemble. D’ailleurs, et dès 1827, Thomas Hood ne répondait-il pas à cet appel par son Plaid des Fées d’été, le plus long et le plus travaillé de ses poèmes sérieux, dédié à son cher ami Charles Lamb[1] ? Dans cet avant-propos épistolaire, il fait allusion à une intimité, à une affection assez étroites, bien que de date récente. Il est donc permis de croire que ces esprits de même ordre, congenials, dirait un Anglais, — quoique si diversement doués, — s’étaient reconnus et cherchés à travers le ’monde. On peut admettre comme légitimes cette filiation, cette hérédité que nous invoquons dès le début au profit de Thomas Hood, plus populaire, à coup sûr, que Lamb ne l’a jamais été, mais dont la renommée ne se conservera pas autant, moins protégée contre le temps par les suffrages d’élite, par l’admiration des gens de goût.

Humoristes tous deux, ils n’ont guère en commun que ce don de nature. Genre d’esprit, caractère, sensibilité, penchans littéraires, émotions, tendance idéale, tout est différent. Autant Élia est paisible, concentré, patient, délicat, tendre, affectueux ; autant Thomas Hood est armé en guerre, énergique, primesautier, impétueux, bizarre, plein d’audace, de feu, d’irrévérence. L’un est presque dévot, l’autre incline à toutes les hérésies imaginables. Celui-là sympathise avec toutes les douleurs, même les plus humbles, et s’inquiétera fort bien, moitié pour rire, moitié tout de bon, de la mélancolie des tailleurs. Il en fait

  1. Hood’s poems, éd. Moxon, vol. II, p. 55.