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blafardes et sanglantes, toutes préparées pour quelque scène de meurtre, une lutte nocturne, que vous vous représentez malgré vous, et dont les traces vous entourent, mal cachées sous la poussière qui s’accumule en ces lieux maudits et déserts. Dans l’appel saisissant ainsi fait à la curiosité en même temps qu’à l’imagination du lecteur, gît tout l’intérêt de ce poème sans action.

Grace à sir E. Lytton Bulwer, l’histoire d’Eugène Aram est bien connue. Hood s’en est emparé, lorsque le roman l’eut rendue populaire, pour nous montrer une personnification du remords. Le meurtre est accompli, et rien n’en a fait découvrir l’auteur. Une joyeuse bande d’écoliers en congé vient à se répandre dans les champs par une belle matinée d’été. Leur guide est un jeune homme pâli par l’étude, et plus blême, plus silencieux ce jour-là qu’il ne le fut jamais. Il voudrait, mais en vain, s’abstraire dans la lecture d’un in-quarto poudreux ; sa pensée est ailleurs. Une secrète puissance le contraint à fermer ce livre dont les pages, tournées d’une main distraite, n’offrent plus aucun sens, aucun attrait à son esprit troublé. Sa solitude lui pèse ; le silence lui est devenu un supplice ; il faut, poussé par une irrésistible fatalité, qu’il parle à quelqu’un, et ses paroles même lui sont dictées, une à une, par on ne sait quelle voix impérieuse. Les images funestes, les terribles souvenirs dont sa conscience est obsédée, montent, malgré lui, sur ses lèvres descellées par l’angoisse intérieure. Néanmoins un dernier effort de sa prudence révoltée lui fait raconter, comme les visions d’un rêve hideux, ce qui n’est hélas ! que trop réel. Vaine précaution : les détails qu’il donne sont tellement précis, son récit est si effrayant de vérité, sa voix tremblante a de tels accens, que l’enfant auquel il a cru pouvoir se confier ainsi sans péril pénètre le secret de cet aveu déguisé. L’assassin s’est trahi, le châtiment s’apprête, et le poème finit.

Comme tous les esprits hardis, inventeurs, et peu disposés à subir le joug des traditions, de celles-là même qui commandent le respect, Hood dut choquer plus d’un esprit sérieux, et mériter plus d’un blâme solennel. L’un de ces anathèmes a été l’occasion d’une sorte de profession de foi, éminemment caractéristique, adressée à un détracteur du poète. L’Ode à Rae Wilson est une réplique virulente aux pieuses malédictions de l’austérité presbytérienne, une protestation hardie, — hardie surtout en Angleterre, — contre l’esprit d’intolérante bigoterie, d’hypocrisie exclusive, d’évangélique dureté, qui distingue certaines sectes protestantes, et plus particulièrement l’église d’Écosse. La riposte eut ceci de piquant, qu’elle précéda l’attaque. M. Rae Wilson, voyageant en Palestine, — ce pèlerinage est fort usité parmi les pieux adeptes de John Knox, — avait trouvé matière à scandale dans une facétie de Thomas Hood, où celui-ci assimilait certain navet, qu’un pourceau fugitif emporte incomplètement dévoré, à ce rameau de la colombe biblique,