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et nous étions encore à quatre journées des Andes, que déjà nous les voyions se dresser comme une barrière infranchissable, uniformément blanches de neige, depuis le sommet jusqu’à la base. Il était impossible de passer au Chili avant le printemps.

Hiverner au pied des montagnes, dans cette vallée de Mendoza que nous rêvions d’avance comme une terre promise à la sortie du désert, devenait pour nous une nécessité que nous acceptions sans trop de peine ; mais cette plaine si fertile, tant vantée, que l’on comparait avec orgueil à la huerta de Valence, avait souffert aussi. De belles fermes restaient en friche ; de rares troupeaux erraient dans les prairies ; on voyait bon nombre de maisons abandonnées. La guerre civile avait passé par là, et la proscription l’avait suivie. À ces fléaux, partout visibles, se joignaient les rigueurs d’un hiver extraordinaire. Une neige abondante couvrait le sol quand nous fîmes notre entrée dans la ville de Mendoza, et de plus il faisait nuit ; les habitans, peu accoutumés aux intempéries des saisons, se cachaient derrière leurs fenêtres bien closes ; personne dans les rues ; pas une porte ouverte, pas une lumière ; on eût dit une ville morte. Les chevaux s’abattaient à chaque pas, les postillons murmuraient sous leurs ponchos humides, et, au milieu des plus profondes ténèbres, nous cherchions un peu au hasard la maison d’un Français chez qui nous devions descendre. Dans ces pays où les hôtels sont inconnus, il faut avoir recours à l’hospitalité ; par malheur celui à qui nous venions de si loin la demander ne se trouvait pas chez lui pour nous recevoir. Depuis quatre mois, il était parti pour une expédition désespérée, à la recherche des mines exploitées jadis par les Espagnols dans la partie des Andes qui se prolonge parallèlement aux provinces méridionales du Chili. Reviendrait-il jamais ? c’est ce qu’on n’osait affirmer, tant son entreprise semblait aux gens du pays téméraire et même extravagante.

Il ne manquait point dans la ville de Mendoza de maisons délaissées que l’on nous eût louées pour une modique rétribution ; mais, à cette heure de la nuit et avec un pareil temps, comment les chercher ? Nous restâmes donc dans la demeure de don Luis (c’est le nom que je donnerai à notre hôte), et n’eûmes point à nous en repentir. En son absence, un autre Français, don Eugenio (comme on l’appelait dans le pays), en faisait les honneurs ; c’était un jeune médecin de bonne mine dont la clientelle se fût trouvée plus naturellement dans la Chaussée-d’Antin que dans cette pauvre petite ville perdue au pied des Andes. Comme il lui restait des loisirs, nous faisions ensemble de grandes excursions dans la plaine et dans la montagne, promenades variées qui abrégeaient les longueurs d’un séjour dont je ne prévoyais pas encore le terme. Mes compagnons de voyage s’ennuyaient mortellement par la raison