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nouvelles remplaçaient sur toutes les villes et sur toutes les forteresses américaines l’étendard de Castille et de Léon, et cependant, au milieu des Andes, à la source des rivières qui, d’une part, coulent dans la Patagonie et, de l’autre, se précipitent dans l’Océan Pacifique, au cœur des riches provinces du Chili, une petite armée bravait encore les vainqueurs de Junin et d’Ayacucho : c’était la bande des Pincheyras, ainsi appelée du nom de son chef.

Pablo Pincheyra n’était point né en Espagne, comme on le supposerait naturellement, mais au Chili, à San-Carlos, province du Maule. Il appartenait donc à cette forte race des Maulinos, au teint foncé, à la barbe rare, à la chevelure longue et soyeuse, au menton aplati, qui se distinguent assez des Chiliens du nord pour qu’on reconnaisse en eux l’influence d’un sang étranger. Les Maulinos descendent, au moins par leurs mères, des Indiens braves et intelligens qui ne se soumirent jamais aux Incas. Vous savez que la rivière du Maule formait la limite méridionale du vaste empire des dominateurs du Pérou.

Le district de San-Carlos est situé à une petite distance de la Cordillère, dans une région bien arrosée, abondante en bestiaux et surtout remarquable par la beauté de ses forêts, solitudes imposantes dans lesquelles Pincheyra passa librement sa jeunesse, maniant tour à tour la hache et le lazo. A l’exemple de ses compatriotes, il était bûcheron par instinct, c’est-à-dire qu’il savait construire des radeaux propres à conduire jusqu’à la mer les bois de charpente ; mais, paresseux, aventureux par nature, il se plaisait à abattre, au moyen du nœud coulant (lazo), les bœufs à demi sauvages qui s’égarent dans les hautes vallées des Andes. Cette vie errante et mal réglée obscurcit bientôt en lui le sentiment du tien et du mien (mio y tuyo), que don Quichotte affirme avoir été inconnu dans l’âge d’or. Il commit des vols sur les propriétés environnantes, s’enhardit dans le mal, puis, se trouvant mis hors la loi, il se réfugia dans la profession de bandit. Ses frères d’abord et bientôt quelques vagabonds du voisinage se rallièrent autour de lui ; les caciques de la plaine et des montagnes s’empressèrent, à son appel, d’accourir avec leurs guerriers, et Pincheyra commença à se faire un nom dans les provinces chiliennes de la Conception et du Maule.

Les expéditions multipliées de Pincheyra et de sa troupe, dont le but était toujours de piller les grandes fermes et de rançonner les hameaux, jetèrent la terreur bien loin à la ronde. Dans ces régions reculées, trop distantes de la capitale, la justice ne pouvait se faire respecter qu’en s’appuyant sur la force armée, et où aurait-on trouvé des soldats disponibles en 1824 et 1825, quand la patrie les appelait tous ailleurs au secours de l’indépendance menacée ? Loin d’être inquiété dans ses brigandages, Pincheyra vit peu à peu sa bande s’augmenter d’un grand nombre de déserteurs, de gens sans aveu comme il s’en