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Avant de se cacher dans ces impénétrables asiles que lui offraient ces ravins connus de lui seul et de sa bande, Pincheyra eut cependant l’idée de tourner la place et de l’enlever, en choisissant le moment où toute la population armée s’aventurerait hors des murs : mais c’eût été tout risquer : le chef de partisans qui fait la guerre pour son propre compte n’est point tenu, comme le soldat, de tenter ces coups hardis qui ne procurent souvent qu’une mort glorieuse. De son côté, la milice, redoutant une surprise nocturne, ne manqua pas de se cacher à l’entrée de la nuit. Les prisonniers mal surveillés s’évadèrent pour la plupart à la faveur des ténèbres, et ceux que l’on crut mieux garder en les enfermant dans la geôle de Curico n’y restèrent pas long-temps. La porte leur avant été ouverte par une main amie, ils retournèrent dans les montagnes. L’attitude de la milice chilienne, on le voit, n’était guère redoutable. Pourtant cette résistance, si mal organisée qu’elle fût, avait suffi pour contraindre Pincheyra à battre en retraite, et l’échec qu’il reçut dans cette occasion fut pour lui une leçon dont il profita. En se retirant, il voulut graver dans l’esprit de la population de Curico le souvenir de son passage ; il jeta sur sa route les cadavres de ses captifs tout hachés de coups de sabre, et coupa le jarret aux animaux, chevaux et boeufs, qu’il ne put emmener. On ne l’inquiéta point dans sa fuite ; les soldats chiliens se contentèrent de garder les passages des Andes. Un de ces ouragans de neige que l’on nomme dans le pays temporales les tint emprisonnés pendant trois semaines au fond d’un ravin où la famine força les officiers eux-mêmes à tuer les chevaux pour les manger.

Pendant toute la mauvaise saison, c’est-à-dire dans l’hémisphère austral depuis ruai jusqu’en octobre, Pincheyra, pareil à un tigre en colère, erra le long des montagnes où il régnait en maître, se jetant de temps à autre dans les plaines, et épiant l’occasion de frapper quelque grand coup. Son camp était établi à la source de deux rivières, au fond d’une vallée que dominent de toutes parts les pics de la plus haute chaîne des Andes ; il y vivait en paix, lui et les siens, du produit de ses chasses à main armée sur les habitations les plus voisines. A mesure que la dévastation se répandait autour de lui, il agrandissait ses domaines, et les habitans des villes, bien qu’ils entendissent plus rarement parler du bandit, qui avait mis entre eux et son repaire tout l’intervalle d’une solitude désolée, tremblaient toujours de le voir descendre comme une avalanche du haut de la Cordilière. Ces craintes ne tardèrent pas à se réaliser. Vers la fin de cette même année (1825), un Espagnol du nom de Zinozain se présenta au camp de Pincheyra avec vingt-cinq compagnons. Depuis quelque temps déjà, la petite troupe de Zinozain, réfugiée chez les Indiens, commettait sur le territoire du Chili et des provinces argentines des déprédations de toute espèce ; les sauvages lui prêtaient aussi leur appui, et ce qui faisait sa force, c’est qu’elle