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moral à ce qui est destiné à avoir une fin si peu édifiante. Pourquoi donc cette haine plus vivace et plus longue pour Mme Du Barri, aussi jeune, plus jolie qu’aucune maîtresse royale ? Est-ce parce qu’elle coûtait beaucoup d’argent ? Louis XV en aurait-il moins dépensé sans elle ? Les châteaux bâtis, les fêtes données par Louis XIV à ses favorites, n’ont-ils pas coûté mille fois plus que les caprices de la comtesse ? La réprobation ne s’éleva si haut, pensons-nous, que parce que le duc de Choiseul ne parvint pas à donner de sa main au roi Louis XV une maîtresse qui balançât le crédit de Mme Du Barri. Le duc, indigné, la rendit d’abord odieuse à la cour par son pouvoir comme ministre ; il put ensuite, par l’influence des écrits qu’il eut la facilité de faire publier contre elle, ameuter toute la France et l’étranger. Sa lutte avec elle est une des phases les plus curieuses de notre histoire. Il ne voulut pas reconnaître à propos, mal conseillé par Mme de Beauveau et par sa sœur, lune de Grammont, l’immense ascendant promis à la favorite quand elle parut dans le ciel ou dans l’enfer de la cour. Moins habile et moins prudent que le duc de Richelieu, il dédaigna de signer avec elle une alliance offensive et défensive lorsqu’elle la lui fit proposer, et ce fut sa perte.

Jusqu’ici tous ceux qui ont écrit sur la maîtresse de Louis XV ont copié un livre intitulé Anecdotes sur madame la comtesse Du Barri, ouvrage honteux, sans nom d’auteur, publié à Londres chez le fameux Nurse. Comme il était excessivement difficile, même impossible, à Mme Du Barri d’opposer à cette publication, qu’elle essaya cependant, mais inutilement, de faire disparaître, un récit exact et fidèle de sa vie, car c’eût été combattre la calomnie par le scandale, le feu par la poudre, elle garda le silence le plus absolu, en sorte qu’aujourd’hui, à moins de se livrer à un travail peu récompensé par le lecteur prévenu, on ne recueille sur elle que ce qu’en ont dit ses ennemis les plus injustes et les plus violens.


I.

Mme du Barri naquit en 1744, à Vaucouleurs ; son père, petit commis aux fermes, nommé Gomart de Vaubernier, pria Billard Dumonceau ou plutôt Du Monceau, riche munitionnaire qui passait ce jour-là par la ville, de tenir l’enfant sur les fonts baptismaux. Après cet événement insignifiant, on ne sait plus ce que devient le père, mort sans doute dans l’obscurité où il avait vécu, et on ne revoit plus la mère et la fille que sur la route de Paris. Qu’allait faire la petite Jeanne de Vaubernier à Paris ? Sait-on jamais ce qu’on vient y faire ? Elle obéissait à cet énergique aimant qui attire à Paris tout ce qui a en soi un titre à la gloire, à la célébrité, à la fortune. Elle avait son joli visage de province,