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un divan et les pieds dans ses mules de satin rose, pouvait, en attendant son esclave couronné, lire Zadig ou Candide dans un exemplaire de dix mille francs. La tempête révolutionnaire n’a pas dispersé tous les feuillets de cette bibliothèque de perdition, sagement appelée dans la librairie curieuse bibliothèque infernale. Ce prodigieux XVIIIe siècle, dont on ne vantera jamais assez la fiévreuse originalité et l’énergique impulsion en toutes choses, a créé aussi en France le goût des bibliothèques particulières et des galeries de tableaux, petits ruisseaux qui ont fini par former peu à peu la vaste mer de nos bibliothèques publiques et nos musées de peintures. Je sais comme un autre ce qu’on doit aux fonds des bibliothèques d’anciens couvens, mais je persiste à dire, et les preuves ne manquent pas, que les collections de mémoires, de voyages, de romans, de poésies, seuls livres qui se lisent beaucoup, sont dues aux grands seigneurs et aux courtisanes du XVIIIe siècle. Elles faisaient partie des richesses mobilières comme les plats en orfèvrerie de Germain, les porcelaines de Saxe et les cabinets en laque du fameux Martin. La Bibliothèque Royale, la Mazarine et la bibliothèque du Louvre ne sont presque formées que d’alluvions bibliographiques, que de legs faits par tous ces charmans esprits, ces cœurs légers et bons du siècle philosophique. Comme le XVIIIe siècle lisait beaucoup et qu’il lisait partout, aux champs, à la ville, à la cour, il créa la petite monnaie courante des livres, les petites éditions, les petits caractères, les petites vignettes, enfin les éditions de poche, choses adorables et furtives, faciles à prendre, faciles à quitter, toujours sous la main. Ces gracieux formats in-12, in-18, in-32, acquirent toutes les femmes à la cause des livres ; le commerce y gagna des sommes immenses ; l’imagination, l’esprit, la philosophie, centuplèrent leur puissance d’action sur les masses.

La chambre à coucher était de l’autre côté du salon, à l’aile gauche du pavillon, et donnait par conséquent, comme la bibliothèque, sur la rivière. Blonde et rose, Mme Du Barri avait fait tapisser en velours bleu, contraste exquis, cette chambre, dont tous les meubles se nuançaient de cette couleur tendre et céleste. Le plafond était de Briard ; il représentait le bonheur des champs dans toute sa poésie. La cheminée, taillée en forme de trépied, se détachait sur un fond d’azur. Quand le soleil éclairait l’appartement de ses rayons dépouillés de leurs angles en passant à travers un nuage de rideaux, quand il entrait comme un brouillard d’or, on devait se croire dans la grotte diaphane de quelque ondine.

C’est dans cette chambre à coucher que Mme Du Barri emportait le consentement de Louis XV à toutes les demandes de graces et de pensions, moins bien accueillies ou repoussées ailleurs. Le duc de Choiseul ne cessait d’entretenir le feu de la guerre. Il avait toujours pour lui,