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dans la Juiverie, quartier qui, séparé, suivant l’usage, du reste de la ville par une forte muraille, formait comme une citadelle intérieure. De la part des bourgeois, d’ailleurs, nulle tentative de résistance ; seulement quelques-uns des plus compromis, alarmés du grand nombre de soldats introduits dans leurs remparts, profitèrent de la nuit pour chercher leur salut dans la fuite, et se dispersèrent dans les environs. Garci Laso, confiant dans son immense popularité et dans le dévouement de ses vassaux, voulut demeurer dans Burgos, et se logea fort près du roi dans un des palais de l’archevêque. Don Pèdre avec sa mère en occupaient un autre. Alburquerque avait son quartier assigné ; Manrique tenait la Juiverie. Ainsi on voyait quatre camps dans Burgos, et il semblait que toutes les factions du royaume s’y fussent donné rendez-vous pour y vider leurs différends.

La nuit même qui suivit l’entrée du roi, un écuyer de la reine-mère se rendit secrètement au logis de Garci Laso, et lui porta, de la part de cette princesse, un avertissement étrange : « Quelque invitation qu’il reçut, il devait se garder de paraître devant le roi. » Le fier Castillan ne tint aucun compte de cette révélation charitable, et, loin de l’attribuer à un sentiment d’intérêt pour sa personne, il se persuada que ses ennemis, redoutant une lutte ouverte, voulaient l’éloigner pour l’accuser pendant son absence. De grand matin il entra dans le palais, suivi de ses gendres, de son petit-fils et de quelques gentilshommes ou bourgeois, cortége ordinaire des grands seigneurs à cette époque. Les portes étaient occupées par une garde nombreuse, et, dans tout le palais, on aurait pu remarquer un mouvement extraordinaire et des préparatifs mystérieux. Dans la grande salle, le roi l’attendait, assis sur son trône, entouré d’écuyers au service d’Alburquerque, tous armés d’épées[1] et de poignards, et portant des cottes de mailles sous leurs habits. A peine Garci Laso parut-il en présence du roi, que la reine-mère toute troublée sortit précipitamment, suivie de l’évêque de Palencia, son chancelier, comme pour éviter le spectacle d’une scène de violence dont elle était prévenue. Sa retraite fut comme un signal pour agir. Aussitôt quelques hommes d’armes s’emparent de trois bourgeois venus avec Garci Laso et les entraînent hors de la salle. En même temps, Alburquerque, debout auprès du roi, s’adressant à un alcade de cour nommé Domingo Juan : « Alcade, dit-il, vous savez ce que vous avez à faire ? » Alors l’alcade, s’avançant vers le roi et lui parlant bas, mais toujours observé par le ministre : « Sire, demanda-t-il, vous me le commandez ? sans votre ordre, je ne puis. » Le roi, d’une voix troublée, comme celui qui répétait une leçon apprise, s’écria : « Arbalétriers ! arrêtez Garci

  1. Au XIVe siècle, les gentilshommes ne portaient leur longue et lourde épée qu’à la guerre ou en voyage. Les chevaliers des ordres militaires étaient seuls armés en tout temps.