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vieux politique accoutumé à lire dans le cœur de son maître. Il s’apercevait que, pour le détourner de vouloir gouverner par lui-même, il était temps de lui donner des distractions plus puissantes que les plaisirs de la chasse. Le règne de don Alphonse avait prouvé tout ce que peut une maîtresse, et le ministre prudent ne voulut pas abandonner au hasard le choix de la femme destinée à jouer un si grand rôle. Craignant une rivale, il voulut avoir une alliée ou plutôt une esclave. Il choisit donc pour le roi et se trompa lourdement. Il crut trouver la personne la plus propre à servir ses desseins dans doña Maria de Padilla, jeune fille noble, élevée dans la maison de sa femme doña Isabel de Meneses. Elle était orpheline, issue d’une famille illustre, autrefois attachée à la faction de Lara et ruinée par les dernières guerres civiles[1]. Son frère et son oncle, pauvres et ambitieux, se prêtèrent, dit-on, à ce honteux marché. Persuadé que doña Maria, nourrie dans sa maison, le regarderait toujours comme un maître, Alburquerque attira sur elle l’attention de don Pèdre et ménagea lui-même leur première entrevue, qui eut lieu pendant l’expédition des Asturies[2]. Doña Maria de Padilla était petite de taille comme la plupart des Espagnoles, jolie, vive, remplie de cette grace voluptueuse particulière aux femmes du midi, et que notre langue ne sait exprimer par aucun terme[3]. On ne connaissait encore son esprit que par son enjouement, qui amusait la grande dame chez laquelle elle vivait dans une situation presque servile. Plus âgée que le roi, elle avait sur lui l’avantage d’avoir déjà pu étudier les hommes et d’avoir observé la cour, mêlée parmi la foule. Elle montra bientôt qu’elle était digne de régner.

On aime à croire qu’en se donnant à don Pèdre, cette jeune fille ne céda pas uniquement à des calculs d’ambition. Le roi n’avait que dix-huit ans ; il était bien fait, ardent, magnifique, véritablement amoureux. Sans doute cette passion aurait suffi pour séduire doña Maria, quand même elle n’eût pas été rehaussée par le prestige d’une couronne. Ses protecteurs, sa famille, conspirèrent pour triompher de ses scrupules. Elle se rendit bientôt, peut-être en exigeant du roi une promesse de mariage, ou même, comme l’ont supposé quelques auteurs, l’accomplissement

  1. Cron. de don Alfonso XI, p. 299. — Argote de Molina nobleza de Andalucia, p. 93. La maison de Padilla est mentionnée dans un privilège daté de 1033.
  2. Ayala, p. 77. Cfr. avec le Sumario de los reges d’Espana, p. 60.
  3. Ayala, p. 332. La langue castillanne est riche en mots pour caractériser la grace chez les femmes. L’Espagne est, à la vérité, le pays où cette qualité est la plus commune. Je citerai quelques expressions seulement qui indiquent des nuances plus faciles à apprécier qu’à traduire. Garbo est la grace unie à la noblesse ; donayre, l’élégance du maintien, l’enjouement de l’esprit ; salero, la grace voluptueuse et provoquante ; zandunga, l’espèce de grace particulière aux Andalouses, un mélange heureux de souplesse et de nonchalance. On célébrera le garbo ou le donayre d’une duchesse, le salero d’une actrice, la zandunga d’une Bohémienne de Jerez.