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Pèdre alors renvoya l’écuyer en le chargeant de dire au comte qu’il eût à se rendre à sa merci sur-le-champ et à congédier ses hommes d’armes. Il ajouta quelques mots bienveillans pour assurer que ses frères n’avaient rien à craindre auprès de lui.

Du côté de don Henri, le secret avait été aussi bien gardé que de la part du roi, et toute sa suite ignorait encore les négociations conduites par Gonzalez de Bazan. Les avis se partagèrent au retour de l’écuyer, plusieurs conseillant une retraite immédiate, d’autres proposant de s’en remettre à la clémence du roi. Tenter la fortune des armes semblait à tous une folle témérité. Sans écouter personne, don Henri rangea ses gens en bataille, et attendit immobile la petite armée sortie de Valladolid. Bientôt elle fut en vue et prit position en face des Asturiens. Entre les deux troupes coulait un ruisseau encaissé qui eût été un obstacle difficile pour celui qui se serait décidé le premier à prendre l’offensive ; mais ni le roi ni son frère n’avaient la moindre envie d’en venir aux mains. Alburquerque seul pressait d’engager le combat et promettait la victoire. Pendant que les soldats du roi, fatigués d’une longue traite, reprenaient haleine, des pourparlers s’engagèrent entre les deux partis. Sur l’ordre du roi, Diego Garcia de Padilla, frère de sa maîtresse, et Juan de Hinestrosa, allèrent parlementer avec le comte de Trastamare. Le choix de pareils messagers prouvait bien que don Pèdre ne suivrait pas les conseils belliqueux de son ministre.

Je ne puis m’empêcher de citer ici une anecdote qui peint la pointilleuse étiquette et la courtoisie chevaleresque de l’époque. Devant le front de bataille de don Henri, le roi aperçut un gentilhomme portant sur son haubert une soubreveste écarlate et une écharpe dorée. C’étaient les insignes d’un ordre de chevalerie très considéré alors, institué par le feu roi don Alphonse. Les chevaliers de l’Écharpe ne devaient être choisis que parmi les vassaux du roi ou ceux de l’infant, son héritier présomptif. Don Pèdre voulut savoir quel était ce cavalier. On lui dit qu’il se nommait Pero Carrillo, serviteur dévoué du comte de Trastamare, et parent de cet Alonso Carrillo, décapité avec Coronel à la prise d’Aguilar. Le roi lui dépêcha un de ses pages, c’était Pero d’Ayala, auteur de la chronique que je transcris, pour lui demander comment, n’étant pas son vassal, il osait porter l’écharpe dorée. Pero Carrillo, à la vue des deux armées, s’en dépouilla sur-le-champ, rappelant toutefois qu’il l’avait reçue du roi don Alphonse pour avoir défendu contre les Maures la brèche de Tarifa[1]. Il ajouta que, puisque le roi le voulait ainsi, il ne porterait plus désormais l’écharpe sans son expresse permission. L’obéissance de Carrillo plut à don Pèdre, plus sensible

  1. Cronica de don Alfonso XI , p. 419.