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étaient accueillis à Stettin le plus pacifiquement du monde. Il n’y a pas bien long-temps que la Prusse a réuni toute la Poméranie, et la majeure partie de la province a si souvent changé de loi, qu’on ne peut raisonnablement en attendre des sympathies bien profondes pour le dernier occupant. Les Poméraniens sont de vigoureux soldats : la crosse du fusil est plus terrible entre leurs mains que la baïonnette ; mais ils ont été tour à tour et place par place Suédois, Polonais et Danois. Stralsund, qui, ainsi que Rügen, était devenu français en 1807, avait été donné au Danemark en 1814. Danzig n’est prussien que depuis le partage de la Pologne. Ce n’est pas là vraiment une incorporation rassurante.

La province de Prusse est du moins tout-à-fait liée à la maison de Brandebourg, liée par les souvenirs d’une antique communauté de travaux et de gloire, liée par les souvenirs plus récens des malheurs de 1807. C’est sur le sol aride de la Prusse orientale que la monarchie dut jouer alors sa dernière partie, sur les champs de bataille à jamais mémorables de Friedland et d’Eylau. C’est derrière la Vistule, derrière le Niémen, à Memel, au bord le plus reculé de la Baltique, que cette monarchie, vaincue et fugitive, trouva dans l’énergie des masses la constance nécessaire pour ne pas désespérer de sa fortune. La province de Prusse a montré de la sorte qu’elle méritait bien qu’on eût baptisé tout le royaume de son nom ; mais elle veut encore aujourd’hui le prouver d’une façon nouvelle, et la conquête des libertés publiques attire maintenant et nourrit tout ce feu qu’elle avait porté dans la défense du territoire national. Koenigsberg est le chef-lieu de la croisade politique entreprise depuis 1840 ; les cruels ennuis qui sont sortis de là pour la royauté de ce temps-ci n’ont sans doute pas laissé dans son cœur toute la reconnaissance promise à ces ardens citoyens par la royauté de 1813. C’est une race à part que celle des bourgeois de Koenigsberg ; remuans et déterminés, rudes logiciens qui calculent toujours, mais qui passent toujours du calcul à l’action, ils doivent compter comme les agitateurs les plus habiles et peut-être les moins résignés de l’Allemagne. Ville de commerce, de guerre et d’université, Koenigsberg ramasse en soi tout ce qu’il peut y avoir de nerf dans l’organisme germanique pour faire face au génie moscovite. Koenigsberg, avec sa haine implacable des Russes, est là sur la frontière comme un de ces corps d’avant-garde qui s’aventurent souvent plus loin qu’on ne le voudrait au centre : on a vu de grandes batailles engagées par des éclaireurs, et, si quelque ferment a dû peut-être éloigner la Prusse de la Russie, n’est-ce pas l’impulsion libérale donnée par les intrépides compatriotes de cet autre révolutionnaire qui s’appelait Emmanuel Kant ? Encore n’ont-ils jamais trouvé jusqu’ici, même pour un instant, qu’on en eût fait assez, et le mécontentement grondé en permanence dans