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Sur le bruit de la marche du roi, Juan de Hinestrosa, toujours retenu prisonnier à Toro, avait offert à la reine Marie et au comte de Trastamare son intervention auprès de son maître pour ménager un accommodement. Il obtint de sortir de la ville, mais en laissant plusieurs gentilshommes ses parens en otage. Une fois libre, et au milieu de l’armée royale, il oublia sa promesse et ne songea plus qu’à servir le ressentiment de son maître, sans se soucier des malheureux qu’il laissait à la merci des ligueurs. La reine-mère se montra généreuse, et les renvoya à son fils sans user contre eux des rigueurs autorisées alors par le droit de la guerre.

Toro était trop bien fortifié pour succomber devant une brusque attaque. Après quelques jours d’escarmouches sans résultats, le roi, averti par ses affidés qu’une partie des bourgeois de Tolède étaient prêts à se déclarer en sa faveur, leva le siège inopinément pour courir de ce côté avec le gros de ses forces. Il se flattait de dérober le but de sa marche aux rebelles et d’arriver aux portes de Tolède, tandis qu’on le croirait encore dans le royaume de Léon ; mais don Henri, pénétrant le motif de cette retraite précipitée, s’était aussitôt mis en campagne avec une centaine d’hommes d’armes. Trop faible pour rien entreprendre contre l’armée du roi, il voulut d’abord se joindre à don Fadrique qui occupait Talavera. Pour s’y rendre, il avait à traverser les cols élevés de la chaîne de Guadarrama, passages toujours difficiles, surtout au commencement de mai, à l’époque de la fonte des neiges. Les montagnards lui tendirent une embuscade et l’attaquèrent à l’improviste dans un défilé dangereux. Plusieurs de ses chevaliers furent tués ou pris, et le Comte ne parvint qu’après un rude combat à s’ouvrir un passage l’épée à la main. Dès le lendemain, il prit sa revanche. Réuni aux chevaliers de Saint-Jacques, il surprit et saccagea le bourg de Colmenar, dont les habitans l’avaient fort maltraité dans l’engagement de la veille. Tous ces malheureux furent impitoyablement passés au fil de l’épée, et les deux frères, en se retirant, ne laissèrent qu’un monceau de cendres. Ainsi se vengeaient les riches-hommes de pauvres paysans défendant leurs chaumières[1].

Le roi d’un côté, don Henri et don Fadrique de l’autre, se dirigeaient vers Tolède. Les bourgeois étaient divisés entre eux. Les uns appelaient don Pèdre, les autres les bâtards, mais la grande majorité des habitans prétendaient demeurer neutres et fermer leurs portes aux deux partis. La reine Blanche, retirée dans l’Alcazar, voyait avec terreur s’avancer son mari, et probablement favorisait de son influence la faction dévouée à la ligue. Partis presque en même temps de Toro, le roi et le comte de Trastamare se trouvèrent l’un et l’autre dans les premiers jours de mai

  1. Ayala, p.179.