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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1001

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pour certaines maladies qui n’existent plus chez les autres habitans du même pays.

La lèpre fut au moyen-âge un mal universel, on retrouve des traces de léproserie dans toutes nos provinces ; mais ce fléau a dû peser plus long-temps sur les groupes de la population qui étaient restés à l’état d’enfance. Je trouve dans ce fait la raison du préjugé qui conserva des races lépreuses long-temps après que la lèpre avait disparu en France. Comme le souvenir des ravages de cette maladie était encore très vivant, on s’arma de précautions brutales contre les malheureux soupçonnés de retenir la lèpre. Toutes les sociétés jeunes en agissent de même ; elles sacrifient impitoyablement les citoyens, les familles, les races même à la sûreté hygiénique de la masse. On découvre toujours en ceci un instinct providentiel qui les guide ; cet instinct leur révèle qu’en laissant vicier les sources de la population, elles compromettraient leur avenir même. Ce que les sociétés nouvelles glissent dans cette œuvre, et qui ne vient point de la Providence, ce sont leurs mauvaises passions. On peut dire du premier âge des peuples ce que Hobbes disait des individus : Homo malus, puer robustus. La force, dans l’enfance des nations, n’étant pas dirigée par la raison, aboutit presque toujours à des excès révoltans que la conscience seule et la religion peuvent modérer. Que dis-je ? il s’établit une lutte entre les tempéramens des races et les doctrines religieuses, lutte où le plus souvent les doctrines sont contraintes de céder et de prendre la forme déterminée par l’âge social. Si la société est croyante, la cruauté s’empreint alors d’un caractère religieux. Non content de couvrir les cagots de la lèpre comme d’un vêtement pour mieux soulever à leur approche l’horreur et le dégoût, le moyen-âge les accusait encore d’avoir participé à l’erreur des Albigeois. Dans l’enfance de l’esprit humain, le mal moral se confond avec le mal physique ; toute difformité est solidaire d’une faute commise ; le schisme et la maladie sont des fléaux qui se touchent dans la main de la Providence. Aux yeux de l’église, l’hérésie est en effet une lèpre religieuse. Ce qu’il y a de plus triste dans l’abaissement de ces races opprimées, c’est qu’elles finissent par faire elles-mêmes leur soumission au préjugé qui les frappe. On les voit ainsi se convaincre de leur indignité. Interrogez les cagots, ils vous diront que leurs ancêtres ont trempé dans la grande révolte des Albigeois, et qu’ils sont châtiés pour la faute de leurs pères. Cette tradition, qui motiverait jusqu’à un certain point les rigueurs exercées contre les cagots, est démentie par l’histoire ; ces malheureux s’accusent eux-mêmes d’une faute imaginaire pour voiler ce qu’a d’odieux et d’inqualifiable la conduite de leurs persécuteurs. Non contens de baiser la verge levée sur eux, ils prêtent une croyance absurde à une fable populaire, et se font ainsi les complices de leur propre infamie.