Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1008

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Leurs mœurs dégoûtantes expliquent assez l’effroi universel qu’ils chassaient devant eux. Leur haleine infectait, disait-on, les cités où ils passaient. Le sentiment du merveilleux transformait leur dégradation en un mystère diabolique. Amoureuses de leur indépendance, ces familles nomades trempaient dans ce qu’on nommait au moyen-âge les arts séditieux, artibus quibusdam seditiosis dediti. De si loin que je prenne leur histoire, je les trouve livrées à l’astrologie, à la divination et aux autres sciences occultes. C’est un instinct des races comprimées que de s’attacher aux choses défendues. La révolte morale entre, pour ainsi dire, dans leur tempérament irrité. Le sang des Bohémiens du moyen-âge s’est indubitablement mêlé au sang des classes inférieures de la population française. Un vif sentiment de la liberté distingue cette race de proscrits, qui a défendu, pendant des siècles, sa misère et son opprobre contre les attraits d’une condition plus régulière et plus heureuse, mais soumise.

Les travaux de valeur si diverse que nous venons d’examiner nous amènent à la même conclusion : c’est que la philosophie de l’histoire n’a point encore su acquérir l’autorité scientifique. Que lui manque-t-il donc ? Il lui manque de pouvoir fixer, au moyen de lois nettement connues et formulées, la succession des faits qui constituent la vie d’une nation. Comment sortira-t-elle de cette indécision funeste ? Le vague est l’ennemi de tout ordre sérieux d’idées, et une science qui ne sait pas préciser n’est pas une science. A notre avis, la philosophie de l’histoire n’arrivera guère à fixer ses résultats, si elle persiste dans la recherche isolée des causes morales, il faut qu’elle contracte avec les sciences naturelles et en particulier avec la physiologie une alliance étroite. De cette alliance sagement pratiquée sortira la connaissance d’un ordre invariable de phénomènes sur lesquels les événemens de l’histoire viendront, pour ainsi dire, se grouper. Là, mais là seulement, est le germe d’un perfectionnement nouveau dans les méthodes historiques. La grande question des races devra dominer l’étude des faits secondaires de l’organisation humaine. Les races sont capables d’émulation et de progrès. Le croisement, en faisant disparaître à la longue ce que les caractères des différentes familles avaient de trop excentrique et de trop heurté, ne va point jusqu’à détruire complètement leur originalité. Ces familles concourent, chacune selon les moyens qui lui sont propres, à l’amélioration de l’espèce et à la variété toujours croissante des types. Les races, dans leurs caractères primitifs comme dans leurs transformations successives, sont, pour ainsi dire, les dépositaires des matériaux dans lesquels puise la main de la Providence pour augmenter la vie intellectuelle et morale des peuples.


ALPHONSE ESQUIROS.