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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1016

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tout-à-fait abandonnée aux soins des bonnes filles du Saint-Sacrement chaque année elle écrivait à son père et à sa belle-mère pour leur rendre ses devoirs ; cette dernière lui répondait quelques lignes dans les formules des lettres de pure convenance, l’assurant de son amitié et de la satisfaction que ses bons sentimens et sa sagesse causaient à son père. Tout se bornait là ; mais ni Mme de Champguérin ni la mère Saint-Anastase ne s’en étonnaient, la chose n’ayant rien en soi d’extraordinaire. À cette époque, il était généralement d’usage que les filles nobles fussent élevées dans ces pieuses retraites, où leurs parens les oubliaient en quelque sorte jusqu’au jour de leur établissement. Les corporations religieuses, dont le vaste réseau font le royaume de France, se partageaient cette tâche, mettant dès-lors en pratique cette grande question sociale de l’éducation hors de la famille, et devançant ainsi, sans s’en douter, les théories les plus extraordinaires, les idées les plus hardies de notre temps.

— Ma chère mère, dit Alice en tirant un papier de sa poche, voici une lettre qui a été remise au guichet hier soir ; notre chère sœur tourière vient de me la donner ; voulez-vous prendre la peine de la lire?

— C’est sans doute quelqu’une de vos bonnes amies récemment sortie du couvent qui vous écrit ce qu’elle commence à voir dans le monde, répondit la mère Saint-Anastase en souriant ; ouvrez vous-même cette lettre, ma chère fille ; je suis certaine qu’il ne peut rien sortir de la plume d’une personne élevée dans cette maison qui ne soit très excellent et très digne d’être mis sous vos yeux.

— Alice rompit le cachet et s’écria aussitôt avec un grand étonnement C’est mon père qui m’écrit!

— Est-il possible! cela n’était jamais arrivé, murmura la mère Saint-Anastase saisie d’une inexprimable émotion et en étendant la main sans oser prendre la lettre. Puis, frappée du trouble, de la joie qui éclataient tout à coup sur le visage de Mlle de Champguérin, elle ajouta : Vous venez donc de recevoir une heureuse nouvelle, ma chère fille ?

— Oh oui! répondit-elle en joignant les mains comme pour rendre grâce au ciel ; mon père est à Paris, je le verrai aujourd’hui même.

— Il vous écrit cela ! fit la mère Saint-Anastase en prenant la lettre et en la parcourant d’un regard éperdue.

— Voyez, voyez, ma chère mère, répondit Alice en lui indiquant le post-scriptum, il se présentera à la grille sur les onze heures.

— Chère enfant, il hésitera à vous reconnaître, dit la mère Saint-Anastase.

— En effet, ma chère mère, j’ai bien grandi depuis que je suis au couvent répondit Alice-avec gaieté ; mon père me trouvera bien changée, mais moi je suis sûre de le reconnaître au premier abord. Il me semble le voir encore quand il revenait de la chasse tout triomphant et