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ses habits délabrés annonçaient une situation peu prospère. Après avoir salué la prieure, il lui dit en soupirant : — Je viens, madame, vous annoncer une funeste nouvelle ; nous avons eu le malheur de perdre Mme de Champguérin…

— Ma tante est morte! s’écria-t-elle.

— Voici la lettre qui m’apprend ce triste événement, continua M. de Champguérin en tirant un papier de sa poche.

Le mère Saint-Anastase le prit en pleurant et lut les tristes détails qu’un pauvre prêtre qui avait assisté aux derniers momens de la malheureuse femme transmettait à M. de Champguérin. Elle était morte presque subitement, au moment où elle venait de recevoir la dernière lettre de son fils. Après cette lecture la prieure garda long-temps un morne silence ; elle pensait à la douleur d’Antonin. M. de Champguérin, debout en face d’elle, se taisait aussi et semblait attendre que ce premier mouvement d’étonnement et de douleur fut passé.

— Et maintenant, monsieur, qu’avez-vous à me dire encore? lui dit tout à coup la mère Saint-Anastase avec amertume.

— Pas grand’chose, madame, répondit-il froidement ; je veux seulement vous demander l’aumône que vous pouvez faire à un pauvre gentilhomme nécessiteux qui n’a pas le sou dans sa poche, et auquel il faudrait un habit de deuil, plus quelques écus pour subsister.

— La communauté vous les donnera, répondit la prieure consternée d’un tel abaissement, et, se levant aussitôt, elle alla prendre elle-même dans la caisse du couvent soixante écus de six livres dont elle fit des rouleaux. M. de Champguérin tendit les eux mains pour recevoir cette somme, et, quand elle fut dans ses poches il s’écria avec un accent indicible d’espoir et de triomphe : — A présent, que la fortune me soit en aide j’e vais tenter une dernière chance.

— Le ciel vous punira, monsieur! dit la mère Saint-Anastase en frémissant à ce dernier trait.

— Vous ne savez pas, madame, la partie que je vais jouer! fit-il en haussant les épaules ; priez le ciel que je gagne, et vous verrez quelle dote je ferai à Mlle de Champguérin. Ce n’est pas à ce vieux pendard de vicomte que je la marierai alors!

Il sortit précipitamment à ces mots, laissant la mère Saint-Anastase stupéfaite de tant de bassesse et d’audace.

Le baron de Barjavel ressentit une grande douleur en apprenant la mort de sa mère, et durant plusieurs jours on fut bien triste au parloir des sacramentines ; puis les choses reprirent leur cours ordinaire ; on commença à se distraire, et bientôt on se récréa doucement comme par le passé. La mère Saint-Anastase avait caché à son cousin, ainsi qu’à Alice, la détresse de M. de Champguérin, et tous deux ignoraient qu’elle lui avait fait l’aumône. Depuis le jour où il lui avait annoncé qu’il allait