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La mère Saint-Anastase demeura un moment muette: elle avait ressenti à ces paroles comme un coup au plus profond de son cœur, et, surprise de cette souffrance, elle considérait ce qui se passait en elle-même avec une sorte de stupeur ; mais, surmontant presque aussitôt cette douleur mortelle, elle dit d’une voix ferme : — Je crois pouvoir répondre du consentement d’Alice, quant à celui de M. de Champguérin, il n’est point douteux.


— Le ciel alors m’aura donné tout le bonheur que je puis avoir sur cette terre! s’écria le baron. Oh! ma bonne Clémentine, c’est fini maintenant ; je ne partirai plus, et tous les jours je reviendrai te voir à cette grille…

— Non, mon cher Antonin, répondit-elle en secouant la tête, cela ne sera plus possible quand tu auras épousé cet ange dont le regard n’a jamais dépassé cette enceinte ; il faut que tu l’emmènes dans le monde, il faut qu’Alice t’accompagne dans de nouveaux voyages. Je te donne une enfant ignorante et simple d’esprit, tu me ramèneras dans quelques années une femme accomplie.

— Je suis convaincu que ce sera aussi le sentiment de M. l’abbé, dit Antonin ; le digne homme est triste depuis quelques jours ; les rues de Paris l’ennuient, il est comme ces oiseaux voyageurs qui, aux approches du printemps, heurtent de l’aile les barreaux de leur cage.

Quinze jours plus tard, le baron de Barjavel épousa Mlle de Champguérin au grand autel de l’église des sacramentines. Cette cérémonie fit grand bruit dans le quartier du Marais, et attira beaucoup de monde, parce que la mariée sortit vêtue de blanc par la porte de clôture, jusqu’au seuil de laquelle l’accompagnaient toutes les religieuses en habit de chœur. Après avoir franchi ce passage, elle se retourna en faisant un signe d’adieu, et chercha un instant derrière la grille le pâle visage de la mère Sainte-Anastase. Après la bénédiction nuptiale, le baron emmena sa jeune femme à travers la nef, et bientôt l’on entendit dans l’intérieur du couvent rouler bruyamment les carrosses stationnes devant l’église puis, la foule s’étant dispersée, il se fit un grand silence dans le chœur.

La mère Saint-Anastase était demeurée en adoration devant l’autel ; se prosternant alors à côté du poteau, elle appuya son visage baigné de larmes contre ce bois grossier, et, l’entourant de ses bras, elle tourna ses regards vers le ciel en murmurant : — A présent, Seigneur, daignez prendre mon âme !... Ne me repoussez pas ; je ne suis plus qu’à voux !...


Mme CHARLES REYBAUD.