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Encouragé par l’heureuse issue de son entremise, et voyant le roi de Castille tout occupé de son expédition contre les Maures de Grenade, le cardinal-légat crut l’occasion favorable pour faire acte d’autorité et pour juger, en vertu des pouvoirs qu’il tenait du saint-siège, les différends existant entre don Pèdre et les princes de sa famille. Le traité de paix entre la Castille et l’Aragon exceptait de l’amnistie l’infant don Fernand, le comte de Trastamare et quelques émigrés attachés à leur fortune, tous déclarés coupables de haute trahison par une sentence du roi. C’est ce jugement que le légat voulut réviser, et le moment était bien choisi pour n’avoir pas à craindre de contradiction. D’ailleurs le légat avait eu soin d’établir son tribunal dans une cour neutre, à Pampelune, auprès du roi de Navarre, et son jugement pouvait passer pour impartial, rendu loin des parties intéressées et du prince qui s’était fait leur protecteur. Le 18 août 1361, le cardinal cassa solennellement la sentence du roi de Castille, et réhabilita les deux princes, ainsi que deux de leurs serviteurs proscrits avec eux, Pero et Gomez Carrillo. Les motifs de cet arrêt doivent être rapportés ici comme faisant connaître les principes du droit féodal de cette époque.

Le jugement du roi de Castille, dit le légat dans son considérant, a été rendu à tort, attendu premièrement que les seigneurs déclarés coupables de félonie s’étaient dénaturés au préalable par acte solennel suivant la coutume d’Espagne ; qu’ils avaient élu domicile dans les domaines du roi d’Aragon, et qu’ils étaient notoirement les vassaux de ce prince au moment de leur condamnation[1]. Secondement, ils n’ont point été entendus sur le fait de rébellion à eux imputée pour leur conduite lors des événemens de Toro, en 1355, et l’on ne peut en équité passer condamnation contre des accusés qui n’ont pas été défendus ; troisièmement, ils ont été amnistiés lors de la pacification du royaume, en 1356, par un acte authentique portant le sceau pendant du roi ; enfin, la sentence de trahison a été rendue contre eux à une époque où don Pèdre, ayant encouru l’excommunication du cardinal Guillaume, se trouvait dans un cas d’incapacité légale[2].

Au reste, en réhabilitant les proscrits, le jugement du légat ne contenait aucune clause pour obliger don Pèdre à leur rendre leurs biens et à révoquer sa propre sentence. Il ne changeait rien aux articles du traité qui obligeait l’infant et le comte de Trastamare à vivre éloignés

  1. Voir l’Appendice.
  2. Arch. gen. de Ar., registre 1394 Pacium et T’reugarum, p. 57-69. Pampelune, 10 août 1361.