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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1074

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personnes recevrait 4 fr. 68 cent., c’est modeste au gré d’une quantité de travailleurs. Mais, dit-on, la production déploierait ses ailes aussitôt, et de 10 milliards elle s’élèverait vite à 15, à 20. Il est mille fois plus probable que, sous l’influence de la terreur, de la confusion, des désordres et des gaspillages de tout genre que causerait cette grande spoliation, nous descendrions à 7 milliards, à 6, à 5, et que cet immense bouleversement établirait bientôt une égalité, non de bien-être, mais de misère.

Il est des prétentions qu’on mentionne à regret, mais qu’il faut cependant citer, parce que l’histoire de ces temps-ci les inscrira. Tel est le projet provisoirement adopté dans quelques ateliers de supprimer le travail aux pièces et de mettre tout le monde indistinctement à la journée. Les mauvais ouvriers y gagneront quelque chose, mais les ouvriers habiles et appliqués, les pères de famille qui, aiguillonnés par leur amour pour leurs enfans, entreprenaient une petite besogne et la menaient à bonne fin, n’ont qu’à y perdre. C’est une violence que celui qui a peu de titres exerce sur celui qui a droit à l’estime et à la sollicitude. Je voudrais de même qu’on pût déchirer des annales de la liberté française la page où l’histoire inflexible s’apprête à écrire que, dans un accès de patriotisme sauvage, des Français ont demandé que les ouvriers anglais, leurs frères, fussent renvoyés, et qu’ils l’ont obtenu.


L’ORGANISATION DU TRAVAIL.

Il y a trois ans, j’eus sur ce sujet une discussion publique avec M. Louis Blanc, à l’occasion du livre qu’il avait publié sous ce titre. Cette discussion, commencée et poursuivie avec politesse de ma part, se termina brusquement, après quelques échanges d’argumens, par une épître que M. Louis Blanc m’adressa dans son journal, épître du genre de celles que du temps de Louis XIV un duc et pair au plus antique blason aurait pu écrire à un homme de lettres, ou, pour parler la langue du temps, à quelqu’un de ces gredins, qui,

Pour être imprimés et reliés en veau,

se croyaient en droit de critiquer les grands seigneurs. M. Louis Blanc sentait en lui l’étoffe d’un dictateur, et savait qu’il lui était réservé de devenir prochainement l’un des membres les plus actifs d’un décemvirat qui disposerait souverainement de la France, statuerait sur la forme du gouvernement, sur les intérêts politiques et sociaux de la patrie. Je dois avouer mon tort : je ne m’étais pas douté des destinées qui attendaient mon adversaire. Je le prenais pour ce que j’étais moi-même, un écrivain, mon pair, sauf la différence du talent, car j’ai toujours regardé M. Louis Blanc comme un homme qui en a beaucoup,