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l’avilissement de tout ce qu’il y a de noble et de pur sur la terre, une honteuse promiscuité.

Ce système, comme au surplus beaucoup des idées qui ont pris le haut du pavé, n’est qu’une réaction passionnée contre les inégalités qui existaient jadis. Il organiserait l’oppression des natures d’élite par les natures communes, des hommes actifs, intelligens, dévoués par les égoïstes, par les sots, par les paresseux. Pour me servir de l’expression consacrée par un des décrets du gouvernement provisoire, ce serait l’exploitation des bons travailleurs par les mauvais. Ce n’est pas pour en arriver là que nous avons fait les révolutions de 1789 et de 1830 : ce n’est pas non plus le dernier mot de celle de 1848.

La concurrence fait le bon marché, c’est une vérité qui court les rues. Or, le bon marché, qu’est-ce, sinon l’affranchissement matériel du pauvre ? La concurrence est le stimulant de l’industrie ; c’est par la concurrence que se découvrent et se propagent les perfectionnemens, si avantageux au plus grand nombre. Supprimez la concurrence, et la torpeur succède à l’ardente activité, qui est le caractère de l’industrie moderne. La concurrence est la figure industrielle de la liberté, de cette liberté sainte pour laquelle nos pères se passionnèrent en 1789, qu’ils nous avaient conquise par tant d’héroïques labeurs, au prix de tant de sacrifices. Condamner systématiquement la concurrence, c’est donc repousser les principes immortels de 1789, c’est vouloir que notre patrie, se frappant la poitrine, demande pardon au genre humain de l’avoir induit en erreur et se mette à rebrousser chemin, la honte sur le front.

Mais, dit M. Louis Blanc, la concurrence est le fléau de la société. D’après lui, non-seulement la concurrence est funeste à l’ouvrier, mais elle est fatale aux bourgeois ; car M. Louis Blanc a la bonté, dans son livre, de témoigner beaucoup de sollicitude à la bourgeoisie. — La concurrence, en effet, a ses abus. L’arène de la concurrence est parsemée de ruines. Combien d’espérances légitimes y ont été renversées ! que de fois l’avenir des familles y a été anéanti ! Je ne le cache pas, je le déplore. Mais la carrière de la liberté n’a-t-elle pas été aussi couverte de décombres ? Des actes infâmes en ont souillé le sol sacré, elle a été inondée de sang. L’affreuse guillotine y fut un moment inaugurée, sanctifiée, car on nous a parlé de la sainte guillotine. L’athéisme y trôna pendant quelques jours, et des monstres dignes de l’exécration du genre humain s’y pavanèrent. Est-ce à dire qu’il faille maudire la liberté ? Pourquoi donc rendre le principe de la concurrence responsable des mensonges et des méfaits qui se sont accomplis ou s’accomplissent en son nom ?

On abuse de tout, même des meilleures choses et des principes les plus beaux ; mais aussi bien on s’abuse soi-même si l’on s’imagine qu’il soit