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et non pas du lien commun de l’amour universel : était-ce la peine de tant philosopher ?

Nous voulons espérer que la commission du Luxembourg ne se croira pas obligée par d’anciennes brochures comme par un credo sans miséricorde. Nous voyons déjà qu’elle renonce à supprimer l’ordre actuel de la façon dont on abattrait un château de cartes, et peut-être qu’en découvrant combien il est enraciné, elle finira par deviner que ses racines ont du bon. Nous souhaitons seulement que les difficultés intimes de la situation lui inspirent un trouble salutaire, afin qu’elle ne s’enivre pas trop du triomphe très apparent de ses théories. À ces causes, nous regrettons un peu le plaisir que la commission semble prendre au contraste trop voulu qu’elle s’est ménagé en remplaçant sur les bancs de la pairie les habits brodés par des vestes. C’est au moins aussi pittoresque que politique ; or, par le temps qui court, le pittoresque monte à la tête, et l’on se grise avec des fantaisies dramatiques. Puisque nous sommes en république, tâchons donc d’être simples : la patrie n’y perdra rien, et le patriotisme y gagnera.

La simplicité est heureusement le don des hautes natures. La circulaire de M. de Lamartine aux agens diplomatiques de la république française est un grand morceau d’un style net et d’une noble inspiration. C’est bien là le vœu de la France et de l’Europe. Toute la situation extérieure semble répondre de plus en plus à cette sage direction que M. de Lamartine a voulu lui imprimer dès le lendemain du jour où s’asseyait le régime nouveau. Ce n’est pas sous l’obsession des affaires qui nous assiégent chez nous que nous pouvons avoir l’esprit aux affaires de l’étranger. Les échos nous en arrivent plutôt que nous n’en allons chercher le spectacle. Nous avons bien assez du spectacle par trop émouvant que nous nous donnons à nous-mêmes. Il est un fait pourtant que l’on ne peut s’empêcher de constater, parce qu’il rend un peu de confiance à quiconque serait tenté de désespérer du progrès social au milieu de la poussière aveuglante des systèmes qui s’entrechoquent. Il y a progrès en effet, et progrès sensible pour deux grands principes qui sont comme les arcs-boutans des sociétés, progrès pour le principe des libertés publiques, progrès pour le principe des nationalités indépendantes. Voici bientôt dix-huit ans, quand la révolution de 1830 secoua l’Europe, la paix fut préservée ; mais on confisqua par toute l’Allemagne les libertés populaires en éveillant, pour faire diversion, les appréhensions et les susceptibilités nationales ; mais on eut ici grand’peine à résister aux entraînemens qui portaient les masses sur la frontière pour y commencer la délivrance des peuples opprimés en faisant main-basse sur leurs territoires. Aujourd’hui, après une commotion bien autrement radicale que celle de 1830, personne ne songe encore à se défier de son voisin, et, dans cette sécurité qu’inspire le respect de tous pour chacun et de chacun pour tous, les libertés croissent partout. Les idées françaises peuvent désormais faire le tour du monde sans peser nulle part. leur passage, et leur vol est en même temps si ferme et si léger, qu’elles n’ont plus besoin de prendre terre. S’il est jusqu’à présent, et sauf les déceptions de l’avenir, s’il est un résultat acquis à la révolution de 1848, c’est ce glorieux et pacifique résultat.